Chapitre 4 III

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  La juxtaposition des deux phrases me démonta. Gatsby répondit pour moi :

– Oh ! non, ce n'est pas monsieur.

– Non ?

M. Wolfshiem parut désappointé.

– Celui-ci n'est qu'un ami. Je vous avais dit qu'on parlerait de ça une autre fois.

– Je vous demande pardon, dit M. Wolfshiem. Je me trompais de personnes

  Un hachis succulent arriva. Oubliant l'atmosphère plus sentimentale du vieux Métropole, M. Wolfshiem se mit à manger avec une féroce délicatesse. En même temps ses yeux faisaient très lentement le tour de la salle – il compléta le cercle en se retournant pour inspecter les gens qui se trouvaient derrière son dos. N'eût été ma présence, je crois qu'il aurait jeté un coup d'œil sous la table.

– Écoutez, vieux frère, dit Gatsby en se penchant vers moi. Je crains de vous avoir un peu fâché, ce matin, dans l'auto.

  De nouveau, son sourire. Mais cette fois je résistais.

– Je n'aime pas les mystères, répondis-je, et je ne comprends pas pourquoi vous ne me dites pas franchement à quoi vous voulez en venir. Pourquoi faut-il que cela passe par l'intermédiaire de miss Baker ?

– Oh ! il n'y a aucun mystère, m'assura-t-il. Miss Baker est une grande sportive, vous savez. Elle ne consentirait jamais à faire quoi que ce fût d'incorecte.

  Tout à coup il consulta sa montre, bondit sur ses pieds et sortit à la hâte de la salle, me laissant à table avec M. Wolfshiem.

– Il va téléphoner, fit M. Wolfshiem en le suivant des yeux. Chic type, hein ? Agréable à voir et parfait homme du monde.

– C'est vrai.

– Il a étudié à Oxford.

– Oh !

– Il a étudié à l'Université d'Oxford en Angleterre. Vous connaissez l'Université d'Oxford ?

– J'en ai entendu parler.

– C'est une des plus célèbres du monde.

  Je posai une question :

– Il y a longtemps que vous connaissez Gatsby ?

– Plusieurs années, répondit-il d'un air satisfait. J'ai fait le plaisir de sa connaissance de suite après la guerre. Je savais que j'avais découvert un homme bien élevé après lui avoir causé une heure. Je me suis dit : « Voilà le genre d'homme que tu aimerais introduire chez toi et présenter à ta mère et à ta sœur. »

Il fit une pause.

– Je vois que vous regardez mes boutons de manchette.

  Ce n'était pas vrai, mais je les regardais. C'était des morceaux d'ivoire qui présentaient un aspect étrangement familier.

– Les plus beaux spécimens de molaires humaines, m'informa-t-il.

Je les examinais de plus près.

– Ma parole ! l'idée est très intéressante.

Ya.

  Il remonta les manchettes dans ses manches.

Ya. Gatsby est très circonspect avec les femmes. Il ne voudrait pas même regarder la femme d'un de ses amis.

  Quand le bénéficiaire de cette confiance instinctive revint s'asseoir à notre table, M. Wolfshiem but son café d'une saccade et se leva.

Gatsby le magnifiqueWhere stories live. Discover now