Chapitre 7 VII

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– Bats-moi donc, criait-elle. Jette-moi par terre et bats-moi ! Sale petit lâche !

  L'instant d'après, elle s'élançait dehors dans le crépuscule, en agitant les mains et en criant – avant qu'il pût quitter le seuil de sa porte, la chose s'était produite.

  L'« auto tragique », comme l'appelèrent les journaux, ne s'arrêta pas ; elle sortit de l'obscurité grandissante, hésita dramatiquement, un instant, puis disparut au premier tournant. Michaelis n'était même pas certain de sa couleur, il dit au premier agent qu'elle était vert clair. L'autre voiture, celle qui se dirigeait vers New-York, s'arrêta cent mètres plus loin et son conducteur revint en courant vers l'endroit où Myrtle Wilson, sa vie violemment éteinte, était accroupie sur la route, mêlant un sang épais et noir à la poussière.

  Michaelis et cet homme furent les premiers à l'atteindre, mais quand ils eurent ouvert sa chemisette en la déchirant, moite encore de transpiration, ils virent que son sein gauche se balançait, décroché, comme un clapet, et qu'il était inutile d'écouter le cœur qui avait battu dessous. La bouche était grande ouverte et un peu déchirée aux commissures comme si la femme s'était un peu étranglée en rendant l'énorme vitalité qu'elle tenait emmagasinée depuis si longtemps.

  Nous aperçûmes les trois ou quatre autos et la foule quand nous étions encore à une certaine distance.

– Une voiture démolie ! fit Tom. C'est bon. Wilson va faire enfin un peu d'argent.

  Il ralentit, mais sans l'intention de s'arrêter jusqu'à ce que, nous étant rapprochés, les visages silencieux et intenses des gens qui étaient devant la porte du garage l'eussent fait automatiquement mettre les freins.

– Jetons un coup d'œil, fit-il d'un air de doute ; rien qu'un coup d'œil.

  Je m'aperçus à ce moment d'un son creux et plaintif qui sortait sans cesse du garage, d'un son qui, lorsque, descendus de voiture, nous nous dirigeâmes vers le garage d'où il sortait, se résolut en ces mots : « Oh ! mon Dieu ! », répétés sans arrêt, en une plainte entrecoupée.

– Il se passe quelque chose de grave, là-dedans, fit Tom, surexcité.

  Il se dressa sur la pointe des pieds et jeta un coup d'œil par-dessus les têtes dans le garage, qui n'était éclairé que par une lumière jaune suspendue très haut dans une corbeille en métal. Puis il fit un bruit rauque avec la gorge et, d'un violent mouvement en avant de ses bras musculeux, il se fraya un chemin.

  Le cercle se referma avec un léger murmure de remontrance ; il se passa une minute avant que je pusse voir quoi que ce fût. Puis de nouveaux arrivés dérangèrent la file et Jordan et moi nous nous trouvâmes d'un seul coup poussés à l'intérieur.

  Enveloppé dans une couverture, puis dans une autre,comme s'il souffrait du froid dans cette nuit brûlante, le corps de Myrtle Wilson était étendu sur un établi, près de la porte, et Tom, le dos tourné vers nous, se penchait sur lui, immobile. À côté, se tenait un agent motocycliste qui inscrivait des noms sur un petit carnet, non sans transpirer abondamment et faire de nombreuses corrections. Au premier abord, je ne pus découvrir l'origine des mots perçants et plaintifs qui se répétaient en échos dans le garage dénudé, puis je vis Wilson qui se tenait sur le seuil surélevé de son bureau, se balançant en avant et en arrière, en se tenant des deux mains aux chambranles de la porte.

  Quelqu'un lui parlait à voix basse, faisant mine, de temps à autre, de lui poser la main sur l'épaule, mais Wilson n'entendait ni ne voyait. Ses yeux s'abaissaient lentement de la lampe sus-pendue à l'établi accoté au mur, puis se relevaient d'une secousse vers la lumière, et il émettait sans s'interrompre son cri aigu et horrible :

Gatsby le magnifiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant