2. Perdue dans la thermodynamique

32 8 0
                                    

J'ai parlé aux étoiles, cette nuit-là. Accoudé à ma fenêtre, je les ai contemplées. J'étais seul face à leur immensité, et curieusement je n'avais pas peur de ce grand vide qu'elles portent chacune en elles. Au contraire, il m'attirait comme un aimant. Ou comme la force attractive, tiens.

   Je me suis demandé ce qu'elles renfermaient, comment c'était là-haut, si le silence n'était pas trop écrasant pour elles. Peut-être qu'elles aussi, elles sont seules avec le martèlement régulier de leur cœur, seule preuve tangible qu'elles sont encore en vie.

  Le noir ne m'a pas paru glaçant, cette nuit. Il m'a presque rassuré avant de m'aspirer dans un néant plus que terrifiant. Mais pourtant, la nuit a été courte. L'algèbre m'a tenu compagnie. C'est lui, mon compagnon de galère.

  Je ne suis pas seul. C'est ce que je me répète en observant mes cernes violacés dans le reflet que me renvoie le miroir chaque matin. J'ai maigri, mon visage est plus fin, je perds les restes de mes traits enfantins. L'ombre d'une barbe noire apparaît même sur ma mâchoire. C'est terminé pour moi, je suis dans le monde des grands.

   Le glas sonne dans l'ombre de ma vie. Je piétine les restes de mes illusions désenchantées. Je n'aurai jamais la vie que je souhaite. J'imagine que c'est ça, grandir. Comprendre que mes aspirations ne resteront qu'à l'état d'esquisses croquées par un peintre si dépité qu'il n'a plus la force de donner un seul coup de pinceau. Comprendre que mes rêves ne demeureront qu'un fantôme flou, vestiges d'une réalité révolue.

Je m'absorbe dans la noirceur de ma tasse de café, espérant vainement qu'elle parvienne à me réveiller. La journée va être longue. A peine levé, je me sens déjà vidé de toute émotion.

Je soupire. Que m'a dit Clément, déjà ? Positive ! Facile à dire...

   Voyons voir, du positif... J'ai refait tous les exercices d'algèbre au prix de mon sommeil pour ma khôlle de ce soir. Je suis à ma deuxième tasse de café et peut-être même que je pourrai en boire un troisième en arrivant à la fac. Je me suis senti bien, seul sous les étoiles. Est-ce que Marina les regarde aussi, seule et accoudée à sa fenêtre, le froid transperçant chaque parcelle de sa peau ? Est-ce que leur abîme l'angoisse ou au contraire, la fascine ?

Je n'aurai sans doute pas la réponse à mes questions avant la prochaine soirée, qui, disons-le clairement, n'est pas prête d'avoir lieu, au vu de la quantité de travail s'amoncelant sur mon bureau.

   Je soupire et finis mon café d'une traite. Je me lave les dents sous ma musique favorite du moment, lorgnant au passage mon livre préféré que je n'ai pas eu le temps d'ouvrir. Peut-être que ce soir, j'aurai le temps... Quelques minutes plus tard, je suis dehors, mes écouteurs dans mes oreilles.

   J'arrive à la fac dix minutes avant le début du cours et aperçois une silhouette longiligne à la machine à café, aux cheveux très courts. Martin.

— Hey ! je m'exclame d'un ton tout de suite plus enjoué.

— Ouh, alors toi, c'est de nonante cafés dont tu as besoin ! commente-t-il, en me jaugeant d'un air amusé.

— Rappelle-moi pourquoi vous utilisez « nonante » vous ? je rétorque en appuyant sur le bouton correspondant au café noisette.

— Parce que ça sonne bien mieux que quatre-vingt-dix ? suggère-t-il. Quatre-vingt-dix, c'est long et laid, alors que nonante c'est léger et bien plus joli !

Je secoue la tête, amusé et manque de faire tomber mon café en me retournant trop vite.

— Si Marina avait été dans le coin, j'aurais su d'où serait venue ta maladresse, mais là, je ne me l'explique pas, me taquine Martin.

— Oh non, tu ne vas pas t'y mettre aussi ! je m'exclame, les joues chaudes.

— Oh si ! Oh d'ailleurs Hugo, regarde qui vient d'entrer ! continue-t-il en observant Marina passer devant nous d'un pas rapide.

— C'est bon, arrête...

— D'accord, acquiesce-t-il, tranquillement. Mais c'est mignon...

Je me contente de souffler et de regarder droit devant moi tandis que nous marchons vers la salle de classe.

   Les cours de physique, elle les trouve passionnant. Elle m'a un jour confié que c'était l'essence même des concepts qu'elle trouvait intéressant. C'était à une soirée, elle avait un peu bu cette fois-là. Elle avait même bafouillé et ses lèvres avaient tremblé quand elle m'avait avoué préférer l'Art et la création aux maths et à la physique. Je lui avais alors demandé pourquoi elle n'était pas allée étudier l'art, la littérature ou l'histoire des arts. Elle avait répondu que ce qu'elle aimait, c'était créer, et qu'à la fac, on n'apprend pas à créer. Et puis elle avait ajouté dans un rire nerveux que dans la vie, on ne faisait pas toujours ce qu'on voulait.

   Je ne savais pas pourquoi elle m'avait confié tout ça, et je n'avais pas insisté. Elle avait l'air perdue. D'ailleurs, elle en a toujours l'air, comme quand elle est arrivée ce matin dans les feuilles d'automne, ses écouteurs dans les oreilles. Mais, maintenant, elle a l'œil vif. Le prof de physique explique quelque chose d'important. Je ne sais pas pourquoi elle s'acharne autant à vouloir tout comprendre, à tout maîtriser dans les moindres détails. Peut-être qu'elle veut juste rendre ses parents fiers d'elle.

    J'essaie de me concentrer sur le cours. Peine perdue ! J'en connais déjà les tenants et les aboutissants, qu'est-ce que je m'ennuie ! Je recopie rapidement ce que j'ai manqué et fais comme Marina. Je regarde par la fenêtre et suis les oiseaux des yeux. Et puis, le professeur annonce la pause : il veut se chercher un café.

   Marina rit un instant avec ses amis. J'en profite pour capturer mentalement ces morceaux de joie ; je connais leur rareté et leur préciosité. Et ensuite, elle sort un manga de son sac et en poursuit la lecture, la mine foncièrement intéressée. C'est là qu'on remarque, si on l'observe bien, que c'est un véritable intérêt, un vrai de vrai, un de ceux qui prend aux tripes, pas ceux qu'elle essaie de manifester face à la moitié des cours de maths. Ce n'est pas de sa faute si elle aspire à quelque chose de plus grand, quelque chose qui trompe la vie et triomphe de la mort.

   Bien vite, l'enseignant revient et il faut reprendre le cours. Elle range son manga dans son sac d'un air préoccupé et se reconcentre. Je l'entends encore chuchoter à ses amis : « La thermodynamique, c'est la science qui étudie la chaleur. Ça vient du grec thermos et dunamicos, le feu et la puissance. »

    Elle était si fascinante, Marina. Elle me donnait envie de croire que tout était possible, qu'on pouvait gommer tout ce qu'on haïssait en nous pour avancer et en faire quelque chose de mieux. Malgré elle, elle m'insufflait l'envie de repeindre le monde avec mes couleurs, d'y accrocher mes planètes et d'y planter mes carottes. Elle était tout. Je le pressentais. Elle était tout ce que nous pouvions être, tout que nous avions été et tout ce que nous pourrions être. Elle était, en somme.

🪶🪶🪶

Hello ! Merci d'avoir lu ce chapitre !

Que pensez-vous de ce chapitre ? A partir du suivant, nous entrons dans les choses sérieuses...

A mardi pour la suite ! 🖤

Passez un bon week-end ! 🪶

MARINAWo Geschichten leben. Entdecke jetzt