19. Un morceau du pâle voile de la mort

18 5 0
                                    

Marina hoche la tête.

— Oui, c'est fini.

Je tourne sur moi-même pour voir s'il ne reste pas un être de lumière quelque part – autre que celui qui dort dans la poche de mon pull –, mais non, il n'y a rien. Mes pieds s'enfoncent dans l'herbe grasse dans un silence étonnant : on n'entend ni insectes ni oiseaux.

— On n'a même pas pu lui poser de questions, déploré-je.

— Les fées ne sont pas très prolixes.

Un problème me frappe soudainement.

— Elle n'avait pas d'ailes.

— Elles deviennent transparentes avec le temps.

Face à mon air sceptique, elle ajoute :

— Ce n'est pas parce qu'on ne les voit pas qu'elles n'existent pas. Ce n'est pas parce que c'est invisible que ce n'est pas réel.

J'hoche la tête et mets la main dans ma poche, effleurant le petit être. Sa peau est douce et lisse comme un pétale de fleur, ses frêles ailes ont la texture de la soie. Pourquoi a-t-il choisi de rester avec moi ? Pour que je porte toujours un peu de lumière ?

— Et maintenant ? questionné-je en ramenant les bras le long de mon corps. Tu avais parlé de mort, je crois, non ?

Elle acquiesce.

— D'abord, il faut sortir d'ici. Normalement on est censé trouver une porte.

Je la regarde un instant, éberlué.

— Une porte ? répété-je.

— Oui, sur un arbre, répond Marina en détaillant les arbres espacés autour de nous.

Alors nous nous égarons dans la forêt avoisinante. Nous tournons un moment en rond dans la lumière, main dans la main. Si je ferme les yeux, je peux encore sentir les feuilles mentholées craquer sous nos pas, le vent étoilé sur mon visage et le grain de la peau tiède de Marina.

C'est dans la partie brumeuse et obscure, après des heures d'errance silencieuse que nous trouvons la porte, ou plutôt qu'elle se matérialise sur un arbre au tronc noir sous mes yeux ébahis. Le contour scintille, et pourtant, quand on l'ouvre et qu'on est aspiré à l'intérieur, ce sont les ténèbres qui nous accueillent.

En regardant autour de moi, je m'aperçois que c'est la clairière où Marina a perdu ses ailes. Elle serre mes doigts un peu plus fort.

— On y est, chuchote-t-elle d'une voix tremblante.

Je lui jette une œillade perplexe. Oui, nous sommes revenus dans la forêt.

— Le moment que je redoute autant que je l'attends approche, détaille-t-elle, les yeux clos.

— Pourquoi le redouter ? questionné-je. Tu vas retrouver tes ailes, il n'y a pas à avoir peur.

— Tu ne comprends pas. Tout a un prix, Hugo. Tout.

Je cligne des yeux, décontenancé. Bien-sûr. Je commence à pressentir ce qu'elle veut dire. Ça va être au détriment d'autre chose. On n'est jamais complètement heureux. Elle se met sur la pointe des pieds et m'embrasse doucement, d'abord sur les lèvres et puis un peu plus ardemment. Sa bouche a le goût des larmes et des rêveries. Je comprends que c'est l'une des dernières fois.

Et quand elle se recule, un éclat argenté fend la nuit. Elle a un couteau dans la main et un flacon dans l'autre. Les yeux brillants et l'esprit encore tout échevelé, je la dévisage sans comprendre.

Elle approche le couteau de son bras, dont la peau est d'albâtre sous le clair de lune, et cisaille sa peau de deux coups secs. Je lui arrache la lame tranchante des mains et la jette à quelques mètres de nous. Elle se fige dans le sol, sanguinolente.

— Pourquoi ? demandé-je, d'une voix blanche.

Le métal qui imprègne l'atmosphère me monte aux narines.

— Parce qu'il faut tuer l'ancienne version de soi pour avancer.

Son bras dégouline de fluide pourpre. Elle appuie le flacon à même la plaie. Des morceaux de peau tombent dedans. Je crois que je vais vomir.

— Et la personne que les autres veulent que l'on soit.

Quand elle décolle le flacon de la plaie, il est plein et elle s'est refermée. Pas une seule cicatrice n'apparaît sur sa peau immaculée. Elle a l'air plus calme qu'avant. Pourtant, les seuls mots qui franchissent mes lèvres sont :

— Quel est le rapport avec le linceul ?

— C'était bien plus mélodramatique dit comme ça. Et puis, on n'aime pas trop parler de sang... et la peau, c'est un peu comme un linceul, non ?

Je caresse la lumière dans ma poche pour évacuer la peur qui commence à s'immiscer dans mes organes. C'est bientôt fini. Bientôt, tout ne sera plus qu'un souvenir.

🪶🪶🪶

Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? A votre avis, comment tout cela va se terminer ?

On se retrouve samedi 2 septembre pour en savoir plus...

Prenez soin de vous !

MARINAWhere stories live. Discover now