20. Un flacon de peur

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— Il me faut de la peur maintenant.

Mécaniquement, je continue d'effleurer la lumière de ma poche. Ce geste répétitif ne me rassure guère. Elle se tourne vers moi.

— Toi, tu as peur. C'est dans tes veines !

— Moi ? protesté-je, avec trop de véhémence pour que cela soit honnête. Mais de quoi ?

— Tu as peur de me perdre. De ne jamais avoir d'ailes. Qu'il soit trop tard.

Elle s'avance vers moi, son regard plongé dans le mien. Elle prend ma main, la serre un instant et tourne mon poignet sous le clair de lune. Les ombres creusent son visage, lui donnant un aspect mystique, presque inhumain. Elle est trop grande pour être mortelle.

Sous la blancheur de la nuit, j'aperçois mes veines saillir sur ma peau. Elles sont noires, comme si les ténèbres elles-mêmes coulaient dans mon sang. Quand le changement s'est-il opéré ?

Ma vue se trouble, mes tympans se compriment, ma tête se prend dans un étau, mon cœur est compressé par mes côtes autant qu'il s'étire de toute part. Comment de telles sensations contradictoires peuvent-elles cohabiter ?

Marina embrasse mes doigts.

— Ce n'est que de la peur. Tu ne deviens pas un vampire. Tu n'as jamais remarqué que ce n'était pas du sang qui coule dans tes veines quand tu es terrifié ?

Je secoue la tête.

— J'ai besoin de peur, murmure-t-elle en effleurant mes doigts.

— Prends-en, chuchoté-je, les paupières closes. Ouvre-moi les veines.

Elle s'esclaffe légèrement.

— Pas besoin d'être aussi extrême. Regarde.

Elle sort un autre flacon de sa poche. A peine a-t-elle appuyé le bord contre mon poignet qu'un épais liquide visqueux, noir comme de l'anthracite, gicle contre les parois du flacon. Je n'ai pas mal, je ne sens rien excepté un immense soulagement quand mes côtes cessent enfin d'enserrer mon cœur.

— Voilà, commente Marina, une fois que le flacon est plein.

Elle l'écarte de ma peau. Ses doigts veulent vérifier ma plaie, mais il n'y a plus rien, et c'est à nouveau mon sang carmin qui coule dans mes veines. Je me sens apaisé, presque résolu.

— Tu n'auras plus peur avant très longtemps, reprend-elle en rebouchant le flacon aussi noir que du pétrole. Je l'ai recueillie et acceptée.

Je me souviens que j'ai acquiescé à sa remarque, parce que je ne savais pas quoi lui dire. Peut-être que j'aurais dû lui dire qu'on aurait pu rester ici, dans cette forêt, y vivre et retourner à la civilisation que lorsque c'était vraiment nécessaire. On aurait pu devenir des gardiens, des sortes de fée, d'elfe ou de farfadet, bien que je ne sois pas sûr de l'existence des deux derniers.

Elle plante son regard dans le mien. Dans la nuit, ses yeux ressemblent à un phare guidant les marins perdus. Et c'était exactement ce que j'étais avant de vraiment la connaître : perdu.

— Tu ne me perdras pas. Pas vraiment. Quand tu seras là où tu dois être, tu sauras me retrouver.

🪶🪶🪶

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On se retrouve mardi 5 septembre pour le chapitre suivant... l'avant-dernier !

Prenez soin de vous 🖤

MARINAWhere stories live. Discover now