Chapitre 4: Douce solitude

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Kentucky, 1964, Joachim avait maintenant quantre ans. Il vivait avec sa mère dans ce petit appartement juste au-dessus du café où elle travaillait jour et nuit. Il ne la voyait pas beaucoup et passait ses journées à compter les planches du parquet, dessiner sur les murs de sa chambre qui s'effritaient avec l'humidité. Humidité qui lui avait causé depuis qu'il était un tout petit bambin, de nombreux problèmes respiratoires. 
Il jouait aussi avec cette poupée de chiffon que sa mère lui avait conçue alors qu'il têtait encore son sein. Il la portait à son nez pour se rassurer ou bien dormir, car elle avait l'odeur de sa mère. Cette douce odeur de lavande qui provenait du savon qu'ils utilisaient pour la toilette, mélangée au café froid. 

Sa mère n'était là que tard le soir et passait si elle le pouvait au déjeuner pour manger avec lui. Alors, pendant ses longues heures de solitude, Joachim avait donné une voix à sa poupée, elle était devenue une personne à part entière, elle était devenue sa seule et plus proche amie. Elle avait un visage pâle en coton sur lequel était cousu un petit sourire rouge et d'immenses yeux noirs. Ses cheveux étaient en ficelle et rattachés au crâne grâce à un chapeau large et rose assorti à la robe au motif vichy. 
Ses mains n'avaient pas de doigts, c'était un détail que sa mère n'avait pas trouvé le temps de faire. Mais Jaochim s'en fichait, cela rendait les caresses sur son visage bien plus agréables, plus douces. Ses pieds n'avaient pas d'orteils mais étaient dissimulés dans de petits chaussons noirs eux aussi en tissus. 

Au fil des ans Jaochim avait cherché bien des noms à son amie. Mais sa vie et son monde s'arrêtait à sa mère et à cet appartement, il ne connaisait rien d'autre. Alors des prénoms, il n'en connaissait que deux. Celui de sa mère et le sien. Il ne voulait pas l'appeler Joachim, il était le seul à pouvoir s'appeler comme cela. C'est ce qu'avait dit sa mère quand il lui avait demandé si tous les autres dehors s'appelaient Joachim et Madeleine. Elle lui avait répondu qu'il était le seul Joachim et que personne ne prendrait son nom, il était unique et miraculeux, envoyé par le seigneur pour combler le trou béant qu'il y avait dans sa vie.
La poupée ne pouvait pas non plus s'appeler Madeleine, Madeleine était sa mère et personne d'autre ne pouvait l'être. Alors, désespéré de ne pas pouvoir nommer son amie, il demanda à sa mère de choisir pour lui. Elle appela alors la poupée Marie, espérant que la sainte vierge la remercie en veillant sur son fils au travers de cette idole. 

La foi de la jeune mère n'avait cessé de croitre et elle avait bâptisé son fils seule dans la petite baignoire de leur appartement. Joachim priait tous les jours avant le repas et le soir, agenouillé contre le lit. Des centaines de fois il avait demandé à Dieu de donner à Marie le don de parole, mais comme ce n'était jamais arrivé, il l'avait fait de lui même. Puis il commença à parler avec Dieu, lui demander si le monde dehors était aussi horrible que sa mère le prétendait, si le seigneur pouvait le protéger des personnes villes et sournoises du dehors. Si un jour, Dieu lui permettrait d'aller voir le soleil. 

Mais en attendant de sortir, Joachim jouait avec Marie. Il la dorlotait, la peignait, lui faisait prendre un bain. Il avait même demandé à sa mère de la bâptiser, ce qu'elle fit avec plaisir. Au départ, il utilisait sa propre voix pour la faire parler, mais de jour en jour, il devint silencieux et eut presque l'impression de l'entendre dans son esprit. Il n'avait plus besoin de faire semblant, Dieu avait entendu ses prières. 

Quand sa mère revenait le soir, Joachim attendait devant la porte assis et patient, réglé comme une horloge. Il mangeait le peu de choses qu'elle pouvait lui offrir juste après avoir remercier le seigneur pour ce repas. Il prenaient ensuite le bain tous les deux, Madeleine lui savonnait les cheveux et fredonnait quelques airs sans paroles. Le petit garçon aimait la sensation que lui procurait la mousse sur sa peau, il la sentait se poser sur lui sans être trop présente. Elle était douce et son poids quasiment infime. Elle sentait bon et cette odeur lui rappela jusqu'à la fin de ses jours le doux parfum qu'avait sa mère quand il sentait ses cheveux. 
Quand il était propre et sec, sa mère le portait jusqu'à la chambre et lui lisait des passages de la Bible. Après une dernière prière, Joachim pouvait s'endormir paisiblement dans les bras de sa mère et Marie au creux des siens. Il avait sa propre chambre mais Joachim voulait profiter de chaque instant avec sa mère avant de retourner à sa sloitude quotidienne. 

Chaque matin recommençait le même schéma, il entendait sa mère se lever, lui caresser la tête, lui embrasser le front et fermer doucement la porte de la chambre avant de partir au travail. Il se rendormait pour se lever une ou deux heures plus tard. Alors il saluait sa poupée qui était posée à côté de lui. Et chaque jour il fallait s'occuper, il dessinait, le plus souvent sur les murs de sa chambre, il dessinait sa mère, parfois elle souriait, parfois elle dormait, parfois elle pleurait et encore d'autres fois elle n'avait pas d'expression. 

Les jours, les semaines, les mois passaient et Jaochim continuait cette vie monotone et silencieuse. Chaque jour un peu plus renfermé, il était devenu muet, n'utilisant sa voix que pour saluer sa mère ou lui répondre de temps en temps. Tout le reste se passait dans son esprit, faute de ne pas pouvoir voir le monde, il en avait créer un bien à lui dans sa tête. Un monde ou seul lui pouvait choisir, un monde où tout lui appartenait, où la vie elle même était sous son contrôle. Il était le Dieu et le prophète de toute chose dans ce monde à la fois si minuscule et si vaste. 

La vie était belle, extrêment silencieuse mais le seigneur allait malgré lui mettre fin à son règne imaginaire, les erreurs commises par sa mère dans le passé  allaient bientôt assombrir son idylle familiale. Il allait être spectateur des dégâts causés par la rancune et le chagrin sans pouvoir changer quoi que ce soit, et cela jusqu'à la fin des temps. Il était prisonnier de son propre corps et de cette vie, même si parfois dans des moments de lucidité il avait voulu s'en échapper. 

JoachimUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum