3| auditions

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Issues - Julia Michaels

❝ Le théâtre doit faire
de la pensée le pain
de la foule.❞
— Victor Hugo

— L'amour est une fumée de soupirs; dégagé, c'est une flamme qui étincelle aux yeux des amants; comprimé, c'est une mer qu'alimentent leurs larmes. Qu'est-ce encore ? la folle la plus raisonnable, une suffocante amertume, une vivifiante douceur ! *

— Merci Joaquim, l'interrompt M. Roberto.

Le professeur de théâtre s'arrête un instant et regarde ses élèves.

— Nous allons reprendre à l'acte un, scène cinq. On essaie de faire avec la répartition des rôles provisoire justement, pour ajuster au fur et à mesure. Si vous avez des suggestions à faire, n'hésitez pas, c'est le moment. Chaque idée pour améliorer le jeu d'acteur ou la mise en scène est la bienvenue, vous le savez bien. Bon, tout le monde suit avec son livre, c'est parti !

Les répliques prononcées par le groupe d'adolescents se succèdent tour à tour, sous l'œil avisé du cinquantenaire. Le visage neutre, il ne laisse rien paraître, aucune émotion, aucune faute, durant l'ensemble des répétitions. Tout se joue intérieurement. Il dit qu'il peut ainsi mieux juger objectivement et donner des conseils s'appuyant sur de vrais ressentis.

Quand vient le tour de Clara, cette dernière s'avance avec fierté sur la scène. Elle se revoit encore en train de feuilleter la liste de la répartition des rôles. Trouver son nom en tête de l'affiche n'était pas quelque chose auquel elle s'attendait. Son professeur l'a choisie pour interpréter le rôle principal, celui de Juliette Capulet et elle ne compte pas le décevoir. Un personnage profond, brisé par la vie et l'amour, un personnage en colère, triste, empli de douleur. Sans vraiment le savoir, Clara ressemble beaucoup à Juliette sur quelques points. Toutes deux n'ont pas été épargnées par la vie et leur cœur retranscrit leur désillusion et leur chagrin.

C'est donc après trois longues et profondes respirations, comme à son habitude avant de monter sur scène, que la jeune blonde s'élance dans sa tirade, souriant à Leo, son camarade choisi pour jouer Roméo Montaigu.

— Bon pèlerin, vous faites injure à votre main, qui n'a montré en ceci qu'une dévotion pleine de convenance; car les saints ont des mains que peuvent toucher celles des pèlerins; et joindre les mains est le baiser du pieux voyageur en terre sainte. *

— C'est très bien, Danae, dit son professeur après la tirade de son partenaire. Accentue plus l'interprétation, la prochaine fois. Je sais que nous ne sommes qu'au début des répétitions, je sais aussi que tu vas travailler, mais je souhaites que tu ressentes plus intérieurement ton personnage. Tu ne récites pas juste ton texte. Tu le vis. Je pense que tu es dans cette compagnie depuis suffisamment longtemps pour le savoir.

L'adolescente hoche la tête tandis que son professeur s'approche d'elle.

— Tu dois tout ressentir juste ici, dit-il en pointant du doigt le cœur de l'adolescente. Je veux que tu t'entraînes à transmettre cette douleur, cette tristesse qui consume ton personnage, l'ivresse de son amour. Le spectateur doit être immergé et vivre les scènes comme s'il y est. Je sais que tu peux y arriver, Danae. C'est pour ta détermination et ton travail sérieux que je t'ai choisi pour cette tête d'affiche.

L'adolescente sourit. Les paroles de son professeur lui font l'effet d'un baume au cœur. Comme la plupart de ses camarades, la jeune fille utilise un nom de scène pour les cours de théâtre. Pas forcément par question d'anonymat non non, seulement pour s'échapper de sa propre vie. Faire une barrière entre le cours de théâtre et sa vie. Un nom à la fois légitime et qui la représente bien. Venu à elle comme une évidence, lorsque le professeur avait émis cette idée. Un hommage permanent.

Clara retourne s'asseoir, tandis que les comédiens défilent. Ne souhaitant pas décevoir M. Roberto, elle se fait la promesse de travailler dur pour ce rôle. Depuis qu'elle a commencé les cours de théâtre, jamais elle n'a interprété de rôles principaux. Des personnages parfois importants oui mais jamais un aussi grand que celui de Juliette. Elle a souvent été dans l'ombre, mais, cette pièce sera sûrement la clé pour son avenir. Interpréter un si grand rôle ne peut être que bénéfique pour décrocher une bourse et entrer dans une grande école d'art et de théâtre, comme elle en rêve.

Clara soupire, repensant à ces amoureux transis, tristement célèbres pour leur amour impossible. Elle ne compte pas baisser les bras de si tôt et fera tout ce qui est dans ses cordes pour y arriver. Dépasser ses limites et surmonter sa tristesse, ses peurs ou encore sa timidité ne lui font pas peur. Chaque comédien connaît des obstacles à son parcours, mais la foi en cet art arrive toujours à les faire émerger. La rivalité, le mensonge, la trahison, la douleur. Voilà ce sur quoi elle devra axer ses prochaines répétitions, pour arriver à faire transparaître ces émotions à la fois fortes et dévastatrices.

L'adolescente est bien consciente de cette chance qu'elle a d'étudier avec M. Roberto, qui l'accompagnera dans chacun de ses entraînements, chacun de ses moments de doute, comme aucun professeur ne le ferait. Cela fait déjà quatre années qu'il lui tend la main, quatre ans qu'elle se confie à lui comme à quiconque. Sans son aide, elle ne serait sûrement pas la jeune fille qu'elle est actuellement. Elle a appris à se reconstruire dans cet univers qui lui plaît tant.

Le reste du cours de théâtre file à une vitesse. Chacun reprend ses affaires au vestiaire tout en relâchant la pression des répétitions et les conversations fusent dans la salle. Peu à peu, Clara lâche prise et se laisse entraîner dans ce brouhaha amical. Elle rejoint rapidement Thaïs, Gabrielle, Arthur et Maëlle sur le perron de la salle. Ses amis qui, comme elle, se sont construit une identité et une personnalité sur le devant de la scène. Elle s'est toute de suite très bien entendue avec eux.  Chacun est différent, avec son histoire, ses échappatoires, ses blessures et ses combats, et c'est tous ces détails qui créent une véritable alchimie entre eux. Avec eux, Clara ressent ce sentiment d'être aimée et intégrée. Ils lui apportent énormément dans sa vie quotidienne. Elle a encore du mal à se confier et à briser sa carapace mais elle sait qu'ils la comprennent et qu'elle pourra toujours compter sur eux.

Une bonne vingtaine de minutes plus tard, la blonde regarde l'écran de son téléphone.

— Je suis désolée les gars, mais je vais devoir y aller. J'avais pas vu l'heure qu'il est, et je dois vraiment rentrer. À samedi !

— À plus, ma belle, lui répond Thaïs.

— Rentre bien, renchérit Gabi.

Clara leur fait la bise et les quitte, un sourire aux lèvres mais un sentiment de culpabilité en elle. Elle déteste avoir à écourter leurs discussions, mais elle ne peut pas les laisser s'immiscer dans sa vie privée. Au théâtre, le seul endroit où elle se sent vivante, elle est Danae. Personne ne doit jamais découvrir sa vie lorsqu'elle est Clara.

D'un pas déterminé, elle s'engage dans les ruelles de la capitale la séparant de son domicile. Elle accélère le rythme, se mettant doucement à courir, tandis que martèlement de la semelle de ses converses contre les pavés parisiens retentit.

Au croisement d'une rue, la jeune fille aperçoit un adolescent au loin. Il a l'air d'avoir environ son âge et semble chercher quelque chose, peu sûr de lui. Feuilletant plusieurs papiers, son regard erre et navigue entre chacun des écriteaux, qu'il a l'air de lire attentivement. Clara s'approche de lui doucement.

— Excuse moi, tu as besoin d'aide ?

Coucou ♡

Avec un peu de retard, voici le troisième chapitre ^^
Comme j'approche de la fin avec mon premier roman, je vais bientôt reprendre un rythme de publication régulier sur celui-ci

J'espère que ce chapitre vous a plu !

Une petite préférence d'ailleurs pour les amis de Clara qu'on découvre brièvement ?

Prenez soin de vous

— anaïs ♡

[ * les répliques suivies d'une astérisque sont extraites de l'œuvre originale de Roméo et Juliette de William Shakespeare ]

T'aimer En VersWhere stories live. Discover now