Case Départ

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Ils s'étaient donnés quelques mois. Un an, tout au plus, pour changer la face du monde. Sin était reparti ; il s'agissait de mettre le nouveau Tyran sous sa coupe le plus rapidement possible. Quand à Zune et à Mainate... Eh.

La vampire de tendre les doigts vers le plafond. Affalée sur le lit, baillant de tout son saoule, elle s'ennuie un peu trop. L'ennui, c'est dangereux chez elle ; ça la distraie bien souvent de sa mission. C'est son grand ennemi, l'Ennui, c'est son suicide. Ça la rend frénétique, ça la rend tarée. Ça la rend haineuse, nostalgique et cruelle. Mainate s'en est rendu compte, c'est pour ça qu'il s'est assis sur cette chaise, à l'autre bout de la pièce, et qu'il panique un peu, car il se dit qu'il devrait rapidement trouver quelque chose pour la distraire ou bien elle trouvera toute seule en torturant mentalement quelqu'un. Et ce quelqu'un, ça pourrait très bien être lui.

« Dis... ? » La voix de Mainate n'a jamais été plaisante. Suraigüe, stridente, il serait mieux silencieux. Mais la vampire, bien trop gaga envers son novice, ne le remarque plus. Elle se retourne sur le ventre et sur les coudes, plongeant ses mirettes aux iris rouge vifs vers le petit brun au visage noirci de grains de beauté. « Pourquoi tu as dit à l'aubergiste que tu t'appelais Kiuun ? » Qu'il poursuit. Sur le dos de la chaise, leurs deux chaperons respectifs glissent et tombent sur la caisse à jouet qui demeure silencieuse. Mainate réalise soudain. « Et cet accent... »

« Pour deux raisons, colibri. » Le surnom allait finir par lui coller. « La première, c'est que je suis définitivement grillée ici sous mon pseudonyme habituel. » 'Pandora'. C'était le prénom qu'elle avait lâchée à l'autre auberge lorsqu'ils étaient arrivés pour la 'mission de reconnaissance'. « La seconde, c'est qu'on va se faire passer pour des habitués du lieu. » Mainate pouffe.

« Y'a que des anges et des démons, ici. Excuse-moi, mais t'as pas une tête de l'un ou de l'autre. » Le ton joueur déstabilise un instant Zune. Où le gamin a-t-il appris à parler comme ça à ses ainés... ? Ah, elle ne pouvait pas lui en vouloir !

« J'ai repéré d'autres monstres par-ci par-là. Garde les yeux ouverts, dans les rues, une nuit, ça pourra te sauver la mise. » Se perdre dans ses pensées était la meilleure façon de se faire planter un pieu dans le dos. Ressasser était plus dangereux qu'il n'y paraissait. Le novice de ne pas réagir immédiatement, et à juste titre. Au bout d'un moment, il glisse, un peu embêté.

« Ah... Super. Et on a quelle place, ici... ? » Son ton semble effrayé mais il ne faut pas s'y leurrer. C'est une crainte sage et courageuse. Puis, il a deviné juste, vu la tronche que tire la vampire.

« On a fait une sacrée dégringolade... » Elle souffle. « Je n'en ai pas vu un seul sous le dôme et ceux qui squattent de l'autre côté sont en haillons. » Un frisson. Une grimace. « Mais Sin va nous filer une bonne place ...Et un logement décent, j'espère. Dès qu'il aura réussi sa part de la mission. » Elle relève des yeux hésitants... Est-ce que ça a réussi à rassurer Mainate ? Les yeux bien trop fins, aux iris noirs, semblent briller une seconde. Mainate de baisser la tête.

« Ca sera qu'une question de temps, alors... Hein ? » La vampire rouge hoche lentement la tête. « Et... Pour la suite ? » Qu'il glisse.

« J'y ait bien réfléchi... » Zune De Laudreuil se remet sur dos et observe les ondulations colorées de la pierre taillée du plafond. L'auberge semble taillée dans un seul bloc de roche, elle n'a jamais connue architecture semblable. En résultat, le tout semble bien froid mais... Plaisant. Elle l'a remarquée lors de son premier passage, le dôme protège assez des rayons solaires pour lui permettre de trainer dehors en plein jour. Elle va probablement devoir modifier son rythme de vie ; il n'y a pas beaucoup d'autres vampires, pas assez pour justifier d'être nocturne. Si elle veut agir, interagir et manigancer... Cela se passera à moitié éblouie et nauséeuse à cause de la clarté ambiante.

Elle y a bien réfléchi, en effet.

« Je cherche un champion. » Mainate s'étouffe.

« Un... De quoi ? Hein ? » Zune se mord la lèvre. Elle n'a que l'embarras du choix d'avec quel croc : Elle possède ces quatre canines proéminentes qu'on trouve généralement chez les lycanthropes, petit cadeau d'une mère de race mixée.

Un champion, qu'elle enchaine. Un héros en armure brillante... Elle rectifie. Non, probablement pas en armure, ça craint, ça fait du bruit et c'est galère pour aller aux toilettes –pas qu'elle-même ait eu beaucoup d'expérience concernant les toilettes, naître vampire ayant ce genre de répercussions. Mais elle sait que c'est pas forcément quelque chose qu'on peut éviter de faire, quand on est pas un non-mort. Et elle avait pas vraiment envie que son héros à venir fasse dans son armure. Bref.

« ... Je- comprends plus rien... C'est quoi cette histoire d'armure ? » Bafouille le petit bout d'chou et Zune de grimacer.

« Euh ouais. Je disais... »

Donc. Un héros qui représente le peuple. Les plumeux, pour l'occasion.

« Plumeux ? » Interrompe Mainate et Zune écarquille les yeux.

« Ah... C'est une façon pas très respectueuse de parler des anges. » Mainate hoche la tête, bien qu'elle ne puisse pas le voir, toujours affalée sur le lit et sur le dos qu'elle ait. Donc, donc, donc !

Il faut un héros ...Ange. Qui vienne de loin. Qui ait vécu la misère. Et qui galvanise les foules. Auquel les gens puissent s'identifier. Sinon, pas possible qu'ils le suivent et le protègent. Qu'ils soient prêt à renoncer à leur Tyran pour sa pomme.

« Un ange... Qui revient de loin, donc. » Reprend Mainate. « Et t'es sûre qu'il y a des anges malheureux dans le coin ? » Un instant de silence. C'est... Probable que les différences sociales ne soient pas aussi flagrantes qu'à Our Lands, Ajaasu, Norë ou n'importe quel autre continent du genre. Mais la misère, ça existe partout, non ? Et puis...

« Je crois que les sacrifices de l'autre coup ont pu créer quelques orphelins. » Mainate sursaute sur ses deux pieds.

« Des sacrifices ?! Tu veux dire... De gens ? » Son regard incrédule en dit long. S'il a connu les horreurs d'une société dystopique, ce genre d'histoires l'avait épargnée jusqu'ici. Et c'est à la vampire d'informer à son novice que le monde est encore, un peu, plus sombre que ce qu'il imaginait.

« Eh bien... » Elle lui murmure à demi-mot la logique qu'elle a cru comprendre dans le coin : Lorsqu'il y a un changement de dirigeant, les premiers nés de chaque famille sont sacrifiés pour affaiblir le peuple. Ainsi, ces derniers ne profitent pas de la faiblesse temporaire du gouvernement pour le mettre à bas. Ce n'est pas forcément quelque chose de joyeux. Ni de très stratégique. Mais étant donné la longévité infinie des plumeux et la taille du microcontinent... C'est peut-être également une méthode froide de garder un minimum d'emprise sur un peuple de fauteurs de troubles. Après tout, si le Tyran, immortel, meurt, ça veut dire qu'il s'est fait tué. Un plumeux meurt rarement d'autre chose. Et s'il s'est fait tué, ça veut dire qu'il y a une bonne raison de se sentir en danger.

Le teint rosâtre de Mainate pâli alors que le sang quitte son joli petit visage difforme. Il se relaisse tomber sur sa chaise, le regard rivé vers la porte fermée. Ses griffes enlacées les unes dans les autres, ses bras frêles sur ses genoux, il cogite.

« ...Je veux me racheter. » Zune tend l'oreille, intriguée. « Pour ce que j'ai fait là-bas. » Qu'il poursuit. Il parle de ce que la presse a appelé 'le Génocide au Dreadful'. « Si on les libère de tout ça... Ça sera comme si j'avais tué personne, hein ? » La rouquine fronce les sourcils. Argh. L'ignorance de la jeunesse.... Elle n'avait pas tellement envie de lui briser ses rêves.

« Tu te sentiras peut-être mieux à ton propre égard, oui... » Qu'elle lui... Ment ? Elle ne s'était jamais sentie mieux, la concernant. Bonnes actions, mauvaises actions, tout était teinté de cette même impression de dégoût.

L'Éden des RejetésWhere stories live. Discover now