Le Marché

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Eh bien. Near était désormais seul dans un continent supposément imaginaire. En toute honnêteté, il devait bien avouer que cela ne faisait pas partie de la longue liste de choses qu'il avait prévu. C'était... Non pas une ironie du sort mais alors quoi ? Une mauvaise farce du destin ? L'automate d'hausser les sourcils alors qu'il s'apprête à quitter le dôme. Les gardes à l'entrée –ou à la sortie, selon l'emplacement que l'on prend- le regardent du coin de l'œil, mais sans réagir. Near de se demander quand remontait la dernière fois qu'il avait eu affaire à des anges.

Les informations que la Marionnette avait lue sur ce lieu restaient vagues et imprécises. Mais il se rappelait autant que faire se peu d'y avoir vu une carte grossièrement gribouillée. Alors qu'il quittait le premier lieu pour le second, il se doutait qu'il allait désormais se retrouver en compagnie plus familière : Il avait été dans Dyalaj, le côté des anges, il se retrouvait désormais dans Lamala, celui des démons. Il marcha longuement dans le sable, ces derniers s'insinuant même à l'intérieur de ses pauvres mécanismes. Personne ne l'avait suivi, heureusement, et il était en paix avec cela. Il n'avait pas besoin d'être accompagné.

Il aimait la solitude si Nelly n'était pas celle qui pouvait la chasser.

L'automate évitait au possible les lieux bondés ; se dirigeant instinctivement vers les étendues désertiques et abandonnées. Il quittait les villes, les villages, n'en frôlant que les abords et, au bout d'un moment, il atteint son but. Éloignée de tout, il trouva avec un léger sourire en coin une très vieille maison que le sable avait à moitié enterrée. Le chemin qu'il avait suivi était celui de cette vieille carte et il s'étonnait à peine que la maison de l'auteur eut réellement existé. Si sa mémoire, abimée au possible par les siècles, lui faisait défaut sur certains points, Near se contentait de suivre une impression. C'étaient des sensations plutôt que les véritables phrases de l'ouvrage qui se rappelaient à lui et cela lui convint tout à fait dès lors qu'il s'était retrouvé dans le droit chemin.

Il hésita à passer outre, continuer son exploration plutôt que de s'installer déjà mais, souhaitant la paix et le repos, s'y insuffla.

L'intérieur était encore acceptable, il se mit dans l'idée de le remettre en ordre.

Lorsqu'il revint à lui, émergeant d'un tréfonds de sordide folie si glacial que la mort aurait paru chaleureuse à côté, il fallut remettre les lieux en ordre une seconde fois. Il en fut brisé.

Mais il se remit à la tâche, il était si brave que cela.

Hagard, semi-terrifié de replonger dans les méandres de sa malfonction, Near laissa le temps défiler. Un jour, puis deux jours.

Son regard parcourait la demeure qu'il avait eu tant de mal à réarranger. Il se rappela des plantes et des tableaux qui ornaient la maison Wolfberger où Nelly De Lullaby avait vécu enfermée. Quelques bribes de souvenirs soufflaient dans son crâne, fredonnaient contre sa peau de latex. Les articulations grippées de ses doigts cherchèrent un instant la femme qu'il aimait mais ils ne purent l'atteindre. Surement, le sentiment qu'il ressentait en tentant de se focaliser sur ce prénom était la seule décoration dont il eu besoin pour sa dernière demeure. Cependant, bien qu'il y eu manqué la quiétude de ce foyer tant haït, il ne pouvait s'empêcher d'apprécier cette solitude nouvellement acquise.

Mais il s'ennuya et la mort était lente à venir.

Revenant sur les pierres précieuses qu'il avait retrouvé dans sa poche, il fit son chemin jusqu'au centre de la ville la plus proche. Là-bas, un marché comme il avait pris l'habitude d'en voir sur les continents. Peut-être un peu plus pitoyable, même. L'on y vendait des esclaves robotiques, l'on y vendait des prothèses pour les membres perdus par la sécheresse ou la maladie. L'on y vendait des denrées, de l'eau même, qui coûtait si cher qu'il se demanda bien comment quiconque aurait pu s'en procurer. Il ignora tout cela, ça n'était pas vraiment de ses recherches. Pourtant, la ressemblance entre ce marché et les autres qu'il avait connu jusqu'ici ne pu que le troubler. Heh, si l'Eden était censé être un mythe, ce n'était visiblement pas le cas pour tout le monde. La population du lieu... ? Principalement des démons ; cela se reconnaissait à leurs ailes fines et à leurs bois élaborés. Mais il était plus que triste de voir à quel point leurs tenues étaient abimées et leurs airs pitoyables. La chaleur à peine viable qui envahissait les alentours n'avait rien de propice, c'est vrai, et si leur organisme avait été construit de manière à résister à de fortes températures, le climat était peut-être juste un peu trop chaud pour eux. A première vue, personne pour diriger leur Purgatoire. Les Rejetés s'étaient juste agglutinés en petits villages, essayant d'extirper un maximum de l'absence de ressources du territoire et se contentaient d'essayer d'y vivre. Mais la population était mourante et abimée, la chaleur et la famine faisant leurs œuvres. Near commençait à douter qu'il puisse acheter quoi que ce soit avec les pierres qui étaient la monnaie de son continent d'origine... Qu'en feraient-ils ? Il entendait les prix, par-ci, par-là, et il s'agissait principalement de troc. ...Qu'avait-il d'intéressant à troquer dans la demeure qu'il occupait ?

L'Éden des RejetésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant