Chapitre 17 (1/2)

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Comme beaucoup, j'avais mis à profit les quelques heures qui suivirent pour dormir un peu. La nuit avait été longue et la bataille avait duré une bonne partie de la mâtinée si bien que dès que j'avais fermé les yeux, j'avais aussitôt sombré dans un court mais profond sommeil réparateur. Lorsque Frost me réveilla quelques heures plus tard, mon corps me sembla peser des tonnes. Tous mes muscles étaient courbaturés, mes yeux peinaient à rester ouverts, tout en moi me dictaient de retourner me coucher, même si cela impliquait de me rouler de nouveau en boule à même le sol comme un chat errant. Je n'avais jamais autant regretté le confort douillet de mon lit parisien. Là-bas au moins le seul obstacle qu'il n'y avait jamais eu entre mon lit et moi était un vieux réveil qu'il aurait été facile d'envoyer balader.

            Frost en revanche ne semblait pas prompt à me laisser en paix. A peine eus-je ouvert les yeux qu'elle me tira en avant pour m'obliger à me mettre debout et me tendit mon arme d'un geste impatient. Je clignai rapidement des yeux dans l'espoir de chasser à la fois la fatigue et la brume qui recouvrait encore chacun de mes sens. Le hall était presque désert, il ne restait plus qu'Alice dont les yeux grands ouverts étaient toujours braqués vers moi et une dizaine d'autres soldats de Phoenix qui s'empressaient de rassembler leurs affaires.

— Les autres nous attendent, lança-t-elle pour seule explication en me poussant en avant.

            Evidemment, il y avait toujours quelqu'un qui m'attendait quelque part, à croire que l'idée même de me reposer pendant plus de vingt-quatre heures relevait d'un doux mirage. J'obéis pourtant sans protester, enchainant pas après pas avec une lenteur douloureuse. Voilà ce qu'il en coûtait de se faire passer à tabac par des P-gène dérangés... Fort heureusement mon corps s'échauffa rapidement, faisant peu à peu disparaître les courbatures pour n'en laisser qu'une gêne discrète. Frost nous fit rapidement contourner l'ancien jardin désormais réduit à quelques broussailles à demi carbonisées et à des fontaines dans lesquels baignaient des dizaines de cadavres d'élémentaires dans une eau rougeoyante. Je n'étais jamais allée de ce côté du complexe et je découvris avec un certain étonnement ce qui pourrait s'apparenter au centre d'entraînement dans lequel je vivais depuis des mois. A ceci près que cet endroit ressemblait davantage à un camp de vacances, tout y était beau et chaleureux : de grands chalets en bois, un feu de camp centrale aux proportions démesuré, un immense bâtiment vitré qui faisaient sûrement office de réfectoire et qui donnaient directement sur une épaisse forêt.

            L'ensemble m'aurait presque donné envie de rejoindre Phoenix s'il n'y avait pas eu tous ces cadavres pour enlaidir la scène. Des centaines de Noeries, quelques-uns de mes clones et des soldats de Phoenix s'entassaient là dans un spectacle macabre. La terre elle-même avait pris la couleur cuivrée de leur sang, transformant cette étendue d'herbe verte en un marécageuse écarlate. Si jusqu'à là j'ignorais ce que le mot guerre signifiait, j'avais vu suffisamment de cadavres aujourd'hui pour m'en souvenir jusqu'à la fin de ma vie.

—Vous n'enterrez pas les morts ? demandai-je en déglutissant péniblement.

            Frost ralentit imperceptiblement le pas pour regarder dans ma direction, visiblement partagée entre l'idée de me répondre et celle de m'ignorer. Elle finit par prendre une décision et poussa un long soupir :

— Nous n'avons pas le temps...

            Son regard glissa vers le visage vide de l'un de nos clones. Adossé à l'un des bancs qui encerclait le feu de camp, sa tête pendait sur le côté dans un angle peu naturel, et son regard semblait dirigé droit sur nous. Son corps ne portait aucune marque de lutte, elle semblait simplement cassée, comme une vulgaire poupée qu'on aurait abandonnée là, au milieu de ce massacre. C'était à la fois étrange et terrifiant de contempler son propre cadavre en sachant que c'était celui d'une autre. Finalement Frost détourna les yeux et reprit son chemin d'un pas déterminé. Il en fallait plus pour l'ébranler, du moins c'est ce qu'elle essayait de faire croire.

Aloys (Tome 3): Lie and The EndWhere stories live. Discover now