1

342 31 5
                                    

Les résultats étaient là, devant moi, sur cette feuille posée sur le bureau du docteur qui le regardait avec beaucoup d'empathie. Je ne comprenais pas tous ces chiffres, mais tout ce que je pouvais lire très clairement : incurable. Chance de survie : très faible.

J'allais mourir. Peut-être pas demain, mais bientôt. Dans un mois, trois, six, peut-être un an. J'allais mourir. Mes pas ne fouleront plus les chemins de la Terre, ma présence n'assombrira plus le sol ensoleillé. J'allais mourir, disparaître. Bientôt. Trop vite pour un gamin de 20 ans comme moi.

- Bien entendu, vous pouvez commencer dès à présent le traitement. Je ne vous garantis pas que cela vous guérira, mais nous ne sommes jamais sûrs de rien. La vie est pleine de surprise, tenta-t-il avant de me sourire doucement.

Je venais de lire « chance de survie trop faible ». Lui-même n'y croyait pas, il voulait sûrement que je paye son salaire en finançant les soins mais je n'avais pas d'argent et encore moins l'envie. Alors je n'avais rien répondu.

La vie est pleine de surprise, oui, tellement surprenante qu'elle allait bientôt me quitter. Mes yeux étaient concentrés sur ce papier, mon cerveau avait du mal à comprendre.

Oui il est vrai que depuis quelques temps, j'étais fatigué, extrêmement fatigué pour être plus précis, et cette affreuse toux ne se calmait pas. J'avais même fini par prendre rendez-vous quand mon nez s'était mis soudainement à saigner pratiquement tous les semaines. En réalité, ce n'était que les premiers signes de mon achèvement. J'allais finir 6 pieds sous terre après avoir trimé pendant 20 ans dans l'espoir d'avoir un beau metier, gagner beaucoup d'argent et entretenir mes enfants et ma femme. Pour quoi au final ? Rien. Un cercueil et de la terre. Pas d'argent. Pas d'enfant. Pas de métier important. Tout ça, toutes ces années jetées à la poubelle. J'allais mourir et mes uniques palmarès étaient mes diplômes obtenus jusqu'à maintenant.

Soudain, une nouvelle pensée se nicha dans ma tête. Mes parents, ma grande sœur et mon neveu. Comment allais-je leur annoncer ça ? Eux qui avaient toujours tout fait pour nous, pour moi, ma soeur qui avait été un modèle d'excellence et qui avait donné naissance au plus adorable des petits garçons, comment allais-je leur dire que très bientôt, dans peu de temps, je ne pourrais plus les saluer ?

Il fallait avouer que je ne l'avais pas fait depuis longtemps. Les études étaient prenantes, la capitale étouffante et le temps manquant. Je n'avais plus le temps de descendre à Jeju, passer l'été dans la petite maison au bord de la mer avec ma famille, me reposer, respirer, vivre. À cet instant, je m'étais rendu compte que je ne vivais plus depuis longtemps, je me contentais d'exister. Peut-être que la maladie était déjà en moi depuis longtemps, peut-être qu'elle s'était formée dans le trou béant au fond de mon être, qu'elle y avait trouvé toute la place qu'il lui fallait puisqu'il n'y avait plus d'âme qui vive.

Je n'allais pas mourir, j'étais déjà mort au fond, c'était sûrement ça le pire à avaler.

Mais maman, Dongsun, papa, Junghyeong, je voulais leur dire un au revoir, un vrai au revoir, non, un véritable Adieu digne de ce nom. Un Adieu avec un grand A, tellement beau qu'en y repensant, ils souriront. Je veux les voir sourire. Je veux préserver mon neveu, remercier mes parents, aider ma soeur pour son avenir.

Ce rendez-vous chez le médecin m'avait permis de comprendre qu'il me restait une dernière chose avant de m'envoler vers l'au delà et je comptais bien accomplir cette mission.

Les jours suivants, je ne me suis pas présenté aux cours. J'avais fait mes valises, rendu les clés de mon petit studio au propriétaire et j'avais sauté dans ma vieille voiture. Je m'étais promis qu'en travaillant bien, j'aurai un bon travail et je pourrais me payer une belle voiture comme celle qu'on voit dans les magazines. Je n'aurais jamais de belle voiture. Tant pis.

J'avais roulé durant des heures, sans me soucier du temps (il y avait un grand ciel bleu avec des rayons de soleil avoisinant les 36 degrés ici), des repas, du sang qui coulait parfois de mon nez à cause de la chaleur cuisante ou de la maladie, je l'ignorais encore, et sans trop me soucier des autres sur l'autoroute.

J'avais bien pensé à plier le papier attestant mon temps restant d'existence et je l'avais caché dans la boîte à gant côté passager. Je n'allais pas me pointer dans la maison, papier collé au front et hurler « hey je vais crever ! » non ça n'avait pas de sens. Puis ça, ce n'était pas mémorable comme Adieu.

Mais comment leur annoncer ? Comment leur dire que j'allais partir pour cette fois-ci, ne plus jamais revenir ? Comment dire à ceux qui m'ont donné la vie qu'on allait bientôt me la reprendre ? Comment expliquer à ma soeur qu'elle assistera à mon enterrement bien plus tôt que prévu ? Je me souviens que pendant mon adolescence, en rigolant je lui avais dit de mettre du Nicki Minaj à mon enterrement. Je n'aurai jamais cru que cela se ferait que 6 ans plus tard. J'avais plutôt imaginé 100 ans plus tard en réalité. 100 ans... Ma première amoureuse, en première classe de primaire, m'avait demandé si on resterait pour toujours. Naïf je lui avais dit que oui, mais je resterais que pour une centaine d'années. Elle avait accepté puis m'avait quitté 7 mois plus tard. C'était ma plus longue et unique relation. C'était si triste. J'avais passé ma vie à courir derrière l'excellence, les diplômes, la reconnaissance, que j'avais reporté tout ce qui était réellement important à plus tard.

Résultat, j'allais mourir puceau, sans jamais avoir connu l'amour ou l'amitié sincère. Le seul amour que j'avais connu était mon ex de première année de primaire que je n'avais jamais aimé, c'était de l'affection bien sûr, et ma famille. C'était deux amours différents, rien à voir et je ne verrais jamais l'autre.

J'allais mourir vide de tout mais je refusais de mourir seul. Il fallait donc que je l'avoue à ma famille. J'avais quelques heures devant moi pour me préparer.

REGARDE MOI. changlixWhere stories live. Discover now