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Ce matin là, celui qui avait suivi ma folle nuit d'amour sur la plage avec Felix, un affreux mal de crâne m'avait empêché de me lever ou même d'ouvrir correctement les yeux durant plus d'une heure. J'étais encore plus épuisé qu'avant d'aller me coucher, tous mes muscles tremblaient de douleur et je sentais ma conscience divaguer. Je ne me sentais pas bien, j'avais donc décidé de rester au lit jusqu'à ce soir, pour aller retrouver Felix sur la plage comme hier soir et peut-être nous câliner à nouveau.

La perspective de retrouver mon adorable voisin me réconfortait et me faisait penser à autre chose que l'horrible crampe de coeur que je subissais. J'en avais marre de souffrir chaque matin, chaque soir, à chaque effort. J'avais encore environ cinq mois de vie, allais-je souffrir ainsi jusqu'à la fin ? Et dire que le traitement faisait encore plus de dégât, je m'estimais encore chanceux d'y avoir échappé.

- Changbin ! cria soudainement mon neveu en entrant dans ma chambre.

Ce cri résonna comme un siffle strident dans chacun de mes neurones, transperçant mes tympans au passage. J'avais grimacé avant de soupirer très fort en entendant sa mère le poursuivre quelques secondes plus tard.

- Laisse-le tranquille ! s'époumona-t-elle. Tu ne vois pas qu'il est fatigué ?!

Son gamin se mit à lui répondre sur le même ton, je n'en pouvais plus, je me retrouvais à prier pour que mon coeur lâche maintenant.

- Excuse-le Changbin... Souffla-t-elle. Tu sais comment c'est les- Changbin ?!

- Quoi... je marmonnais sans ouvrir les yeux.

Je sentis une lourde masse se poser sur mon lit, trop près de moi je n'aimais pas ça. J'avais besoin d'espace, de pouvoir respirer correctement.

Soudainement, j'avais senti sa main passer sur mes joues puis sous mon nez, elle débarbouillait tellement vite mon visage que je m'étais forcé à enfin ouvrir les yeux à contre-coeur pour regarder ma soeur penchée sur moi, les yeux larmoyants. Je voyais, malgré le flou de ma vision brouillée par la fatigue, ses lèvres trembler sous les sanglots qu'elle retenait puis quand elle tenta de me redresser, je pus constater tout le sang sur sa main puis mon oreiller ainsi que mon draps.

Elle avait dû avoir peur de me voir baigner dans mon sang, mais malheureusement un saignement de nez était presque quotidien. En revanche, aujourd'hui c'était particulièrement abondant.

- Laisse-moi... je soufflais alors qu'elle essaya de me sortir de mon lit. Fous-moi la paix Dongsun je ne veux pas sortir...

- Tu ne dois pas rester avec tout ce sang dans le nez, c'est dangereux Changbin !

- Ah ouais, c'est pas comme ci c'était grâce à la maladie que je pisse le sang du matin au soir... j'avais râlé sans prendre en compte mes mots.

Ma soeur me relâcha brusquement, ma tête heurta un peu trop fort mon oreiller, m'arrachant un couinement de désespoir. J'avais tellement, tellement mal... Quand je m'apprêtais à refermer les yeux, je vis ma grande soeur poser mes mains ensanglantées sur ses yeux. Ça me brisa mon coeur malade.

- Désolé... j'avais doucement prononcé avant de me forcer à me redresser seul. Ça me semblait tellement impossible que j'étais fier de moi quand j'avais réussi à m'asseoir, adossé au mur. Je ne voulais pas te rendre triste...

Dongsun ne repondit rien, elle se leva puis quitta brusquement ma chambre, les mains toujours sur son visage. Je me sentais mal, assez pour me lever et marcher en suivant le bruit des reniflements et de l'eau du robinet qui coulait, où Dongsun se lavait le visage. Obligé de me tenir au mur, je l'avais observé durant quelques secondes avant de me racler la gorge pour lui signifier ma présence.

Quand elle me laissa la regarder, je m'étais avancé vers elle pour nettoyer le sang encore présent sur ses joues. Elle me laissa faire, sans un mot.

- Dongsun, ça fait des jours que tu m'évites, je commençais peu confiant.

- Attends je vais te nettoyer.

Ma grande soeur me fit assoir sur le rebord de la baignoire puis commença à frotter autour de ma bouche puis mes joues le sang encore frais.

- Éviter la conversation ne retardera pas ma mort Dongsun. Et je n'ai pas envie qu'on gâche nos dernières semaines.

- Ne dis pas ça... Chuchota-t-elle sans détourner son regarde du sang sur mon visage.

- Je vais mourir Dongsun.

- Arrête !

Désormais, sa voix était claire, net et presque criante.

- J'ai envie de passer de bons moments avec toi et Junghyeong, avec les parents et Felix. Tu comprends ? J'ai envie qu'on discute, qu'on fasse comme si de rien était. Comme si c'était juste un accident.

Dongsun osa, pour la première fois depuis un long moment, me regarder dans les yeux. Elle déglutit puis après quelques secondes de silence, elle vint s'assoir à côté de moi sur le rebord de la baignoire. Elle planta son regard dans le sol, les yeux pourtant embués.

- J'y arrive pas Changbin... Elle cligna des yeux quelques fois, faisant glisser sur sa joue des larmes salées. Je n'arrive pas à l'accepter...

- Je suis désolé, j'aurais aimé que tout se passe autrement, crois-moi.

- Non, tu ne comprends pas... Tu es mon petit frère, t'es comme mon petit bébé... Je la vis grimacer puis déglutir en essayant de ravaler ses larmes. On était sensé se soutenir pour toute la vie, être là, l'un pour l'autre quoi qu'il arrive...

J'avais, à mon tour, fini par baisser la tête, presque honteux. Il était vrai qu'on se l'était promis. Quand les parents mourraient, ça allait être juste nous deux. Quand son fils partira faire ses études, ça allait être juste nous deux. Mais désormais, ça sera elle, seule.

- Depuis que tu es parti à Seoul, les parents étaient souvent inquiets et tristes pour toi... Ils trouvaient que tu ne sortais pas assez, que tu avais besoin de te socialiser... Tu nous manquais, mais on te savait bien et en sécurité alors on te faisait confiance...

D'un geste lent, j'avais pris sa main dans la mienne sans oser relever les yeux. J'avais juste besoin qu'elle vide son sac, qu'elle me le dise maintenant, tant que j'étais encore assez vivant pour l'entendre.

- Mais là, où iras-tu ? Sa voix se brisa au fil de ses mots. On ne saura pas où tu seras, si tout se passe bien... Elle renifla avant de laisser sa tête tomber sous le poids de la tristesse.

J'en voulais à mon corps, à mes cellules, de rendre ma soeur si triste, j'en voulais au destin de m'avoir condamné si vite. J'en voulais à la terre entière, mais moi, j'étais résigné.

- Et puis.. Tu ne passeras plus jamais nous voir... On n'entendra plus jamais ta voix, ou ton rire... Je ne peux pas Changbin...

Elle lâcha subitement ma main pour aller frotter son visage trempé par les larmes et l'eau du robinet, tandis qu'elle ne cessait de renifler. Voir ses yeux pleurer en abondance sans que ça ne semble s'arrêter me remettant à ma condition bien vite. J'étais faible, totalement impuissant et ça, jusqu'à mon dernier souffle. J'étais condamné à voir ceux que j'aime sombrer dans la tristesse par ma faute, sans que rien ne change.

REGARDE MOI. changlixWhere stories live. Discover now