Chapitre 18

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Lorsque le téléphone portable de Rolf sonna, celui-ci était en intervention chirurgicale. Il opérait un patient atteint de cataracte pour qui l'opacification du cristallin était fortement avancée. Ce n'est qu'après l'opération qu'il découvrit le message laissé par Louis Renaud.

« Bonjour monsieur Schäfer. C'est Louis Renaud. Ma fille Alice a été hospitalisée récemment à la suite d'une perte de sa vision. Les médecins sont pessimistes quant à l'issue de la situation et comme vous êtes spécialistes dans ce domaine, j'ai pensé que... J'ai pensé que... Vous pourriez peut-être faire quelque chose pour elle. S'il vous plait. Rappelez-moi. »

La voix de Louis Renaud était étranglée et tremblante. Rolf prit un sacré coup d'émotion à l'audition du message. Il le réécouta deux fois pour être bien sûr d'avoir compris. Quelle malédiction frappait là son Alice ? Depuis son passage à la galerie, il s'était imaginé tant de choses à son sujet en pensant la revoir, qu'il se considérait presque en lien constant avec Alice. Ceci pouvait paraître surprenant car au final, il n'avait rencontré physiquement Alice qu'une seule fois et cette rencontre avait été plutôt brève. Mais il ressentait cet attachement au plus profond de lui comme si, il n'en était pas maître.

Rolf regarda sur son portable l'heure d'appel. L'appareil mobile indiquait « 14h04 ». Cela faisait déjà deux heures que le père d'Alice avait tenté de le joindre. Sans réfléchir, il rappela le numéro. La sonnerie se rompit et Louis Renaud décrocha.

- Oui ?

- Bonjour, M. Renaud. C'est Rolf Schäfer. Je prends votre appel à l'instant. Que se passe-t-il ?

Louis Renaud fût soulagé. Exténué, il raconta en détail à Rolf Schäfer ce qui touchait Alice, comme s'il parlait à un ami de la famille de longue date. De la même manière, Rolf Schäfer écouta et conseilla sans barrière comme s'il avait toujours été le petit ami d'Alice et qu'il souhaitait le meilleur pour elle.

- Ecoutez, monsieur Renaud. Nous sommes d'accord. J'organise le transfert d'Alice de Nice vers Paris, et là nous regarderons en détail ce que nous pouvons faire. Je vais contacter l'Hospital et nous nous retrouverons à la maison de la vision à Paris lorsque le transfert d'Alice sera réalisé.

- Je ne sais comment vous remercier M. Schäfer. Nous sommes tellement désemparés sa mère et moi.

- Vous n'avez pas à me remercier M. Renaud. J'ai hâte de pouvoir aider Alice à sortir de cette situation.

- Merci infiniment M. Schäfer.

- M. Renaud. Une dernière chose, juste pour savoir. Aviez-vous parlé à Alice de ma visite au magasin ?

- Je n'en ai malheureusement pas eu le temps.

- Bien. C'était juste pour savoir. A bientôt M. Renaud. Je m'occupe de tout. Ne soyez pas inquiet.

Rolf tint sa promesse. Il organisa rapidement le transfert d'Alice et récupéra son dossier médical. La chambre d'Alice était réservée et n'attendait plus qu'elle. Rolf était fébrile de rencontrer Alice, bien que la situation soit un peu spéciale. Ses rêves n'avaient pas prévu qu'il arriverait malheur à Alice et qu'il devrait intervenir en sauveur. Car il allait la sauver. Il n'avait pas de doute là-dessus.

L'ambulance était annoncée. Elle ramenait Alice suivie de ses parents. Rolf descendit à toute vitesse les escaliers du hall d'entrée. Denis, son ami, et collègue, ne comprenait pas bien ce qui agitait ainsi Rolf à l'arrivée de cette nouvelle patiente. Il était assez rare de le voir aussi énervé.

Les secondes parurent des heures quand enfin l'ambulance apparut à l'entrée du parc qui mène à la maison de la vision. L'ambulance était suivie d'une voiture grise qui se gara avant l'arrivée. En sortirent les Renaud. L'ambulance continua de rouler jusqu'à l'indication 'Urgences' et stationna devant l'entrée réservée à cet effet. Deux ambulanciers sortirent des places avant. L'un des deux tenait un épais dossier jaune. Il chercha du regard à qui le remettre et tomba droit dans les yeux de Rolf qui l'observait déjà.

« Tout ce qui arrive à Alice est consigné là-dedans » pensa-t-il. Il se dirigea à vive allure vers l'ambulancier qui tenait le dossier médical et le lui prit des mains.

- Ce dossier est pour moi, Messieurs. Je vais vous indiquer le chemin de la chambre. Comment va Mlle Renaud ? Le trajet s'est-il bien déroulé ?

- Oh, impeccable répondit bêtement le deuxième ambulancier. Elle a dormi toute la route. On ne l'a pas entendue.

Rolf lui jeta un regard noir et lui indiqua d'un ton sec :

- La chambre est prête. Vous pouvez sortir Mlle Renaud et me suivre.

Lorsque le brancard descendit, le cœur de Rolf se mit à battre très fort. Puis, il aperçut les cheveux noirs d'Alice bordant son visage doucement posé sur un oreiller de transport. Elle ressemblait toujours à l'image qu'il avait conservée d'elle quelques années plus tôt. Sauf que, cette fois, elle était plongée dans un profond sommeil et qu'elle ne pourrait sans doute pas le reconnaitre.

« Mon Alice, je vais te tirer de là ». Rolf ne montra pas à quel point, il était ému.

Les brancardiers suivirent Rolf jusqu'à la chambre et derrière eux les Renaud les avaient rejoints. Rolf leur serra la main chaleureusement comme s'il les connaissait depuis la nuit des temps.

- Je vous ai fait réserver une chambre juste à côté de celle d'Alice dans le cas où vous voudriez rester sur place.

- Merci M. Schäfer, fit Odette pleine de sollicitude. Nous ne savons pas exprimer tout ce que vous faites pour nous.

Rolf regarda profondément la personne qui devait être la maman d'Alice. Il répondit avec calme.

- Allons, allons. Je n'ai rien fait d'extraordinaire mais je ferai tout, soyez en assuré, pour le bien d'Alice. Installez-vous. Je vais prendre connaissance du dossier médical et je reviendrai vous voir.

- Merci M. Schäfer, vous êtes bons pour nous. Merci pour tout ce que vous faites, lui dit Odette en pleurant.

Louis Renaud prit sa femme par l'épaule et ils rentrèrent dans la chambre où les brancardiers installaient Alice encore endormie.

Rolf Schäfer, le dossier médical d'Alice sous le bras, fila à son bureau. Là, il s'assit dans son siège de cuir, anxieux de découvrir l'affection qui touchait Alice. Fébrile, il ouvrit le dossier de carton jaune et commença la lecture des documents. Les clichés radiographiques y étaient insérés. Ils étaient sans appel. Les deux nerfs optiques d'Alice étaient clairement abimés et l'abaissement brutal de la vision d'Alice ainsi que ses douleurs au crâne étaient tout à fait naturelles vu l'état de ceux-ci. C'était le choc. Rolf observait les nerfs en lambeaux. Il se demandait comment il allait pouvoir résoudre cela. Le pouvait-il au moins ? Il n'en était plus sûr. La confiance de ce grand spécialiste était sérieusement ébranlée. Pouvait-il réparer ces nerfs ? L'opération apparaissait comme compliquée. Son cœur battait très fort. Il ne fallait pas qu'il se décourage. Il n'avait jamais baissé les bras, et ce n'était pas le moment de le faire. Il pressa fortement le dossier et se mit à chercher toute indication qui pourrait l'aider à comprendre la situation. Parfois, l'origine de la pathologie donnait des détails précieux. Mais dans le dossier d'Alice, il ne trouvait rien, aucun élément sur la cause de l'affectation. Les examens sanguins et visuels n'indiquaient rien de particulier excepté un taux anormal de globules blancs dus à l'inflammation générale crée par la dégradation des nerfs. Peut-être les bons examens n'avaient-ils pas été menés ? Il se mit à réfléchir et à reprendre ses réflexes universitaires.

« Allons, reprenons de zéro ! pensa-t-il. La clef est forcément quelque part. Il faut que je la trouve ».

Tout d'un coup, une indication au crayon de bois, griffonnée par un de ses confrères niçois sur un bas de pages d'analyses, attira son attention. Rolf reçut le message comme un retour de boomerang.

Les mots « Anomalie génétique ? » avaient été esquissés sans plus de commentaires. Le cerveau de Rolf Schäfer se mit à bouillonner. Il passa en revue toutes les maladies génétiques qui pouvaient être la source d'une dégradation brutale du nerf optique. Il ouvrit son ordinateur et se mit à faire des recherches internet. Puis, lentement, il comprit que quelle que soit la maladie face à lui, il fallait qu'il s'attaque à la solution, et sur ce terrain, il n'y avait pour le moment rien de proposé outre des calmants et autres somnifères...

Cette nuit-là, Rolf Schäfer passa la nuit sur ses documents et l'ordinateur. Il s'endormit sur son fauteuil.

Avant la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant