Chapitre 30

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Bien loin de là, aux portes de la jungle du Bengale, la guérison spontanée d'Adelina Gonzales avait mis sens dessus dessous le village d'Hardik mais aussi tous les villages proches du lieu où s'était produite la guérison. Partout, on se pressait pour venir comprendre comment Hardik le guérisseur prodiguait ses miracles. En peu de temps, la nouvelle commençait à se répandre et les demandes pour voir Hardik se multipliaient.

Mais Hardik ne profitait pas de cette gloire soudaine. Il était soumis à un autre flot d'émotions. Pallav, son maître bien aimé, n'était pas revenu indemne de sa dernière visite. Il avait pris le mal de l'enfant qu'il avait sauvé par des potions ancestrales. De retour à son habitation, Pallav avait développé une forte fièvre qui l'avait obligé à rester couché. Hardik avait vu son ami se diminuer, devenir faible au point de ne plus savoir communiquer que par le regard.

Plusieurs fois Hardik avait essayé de le guérir. Plusieurs heures, il était resté immobile en imposant ses mains de toutes parts sur Pallav. Mais rien n'y fit. Hardik ne ressentait plus aucune chaleur, aucune énergie bienfaitrice. Il ne se passait strictement rien sauf l'état de Pallav qui se dégradait. Cela rendait Hardik complètement fou. Il avait pu guérir des tas d'étrangers, d'inconnus et ceux qu'il aimait, ceux qu'il chérissait, il ne pouvait rien pour eux. Mais quel était donc ce don divin qui ne sauvait que les autres ! Qu'avait-il fait pour mériter une telle injustice ?

A la différence de lui, Pallav était comme à son habitude, calme, malgré la fièvre et sa faiblesse. Il était empreint d'un sourire posé qu'il transmettait à Hardik comme une marque de sérénité.

Il fallut deux jours à la mort pour emporter Pallav. Hardik était inconsolable. Il organisa les funérailles de son ami avec l'aide de Jivan. Beaucoup de villageois se déplacèrent pour honorer la mémoire de Pallav, l'homme sage.

De retour à la cabane de Pallav, Hardik ne sut que faire. Le destin de celui qu'il avait tant loué, lui jouait un bien mauvais tour. A nouveau, il se retrouvait seul sur le chemin. Il devait réfléchir, savoir s'il n'avait pas fait fausse route. Mayia avait raison. Il avait abandonné les siens. Et pourquoi, finalement ? Pour quelques rêves qui n'avaient aucun sens. Pour se retrouver totalement seul, sans but, sans foyer, sans métier, avec pour tout attribut de la nature, un don qui ne marchait pas lorsqu'il en avait le plus besoin. Que devait-il faire pour trouver sa voie ? Existait-elle au moins la voie qu'il cherchait le soir où il était parti du mariage de Mayia ? Est-ce que cette voie si impénétrable vers laquelle il était attiré, n'était pas qu'un mythe, une illusion, une création de son esprit, un mirage vers lequel toutes les religions convergent pour attirer les fidèles. Une fiction qui a envahi le monde quelle que soit la culture des hommes. Quel était donc ce Dieu qui vous donne et vous retire tout en un seul jour ?

Les nuits qui suivirent la mort de Pallav furent difficiles. Le sommeil d'Hardik était entrecoupé et parfois les cauchemars étaient si réels qu'il ne distinguait plus l'image de la vérité. Pallav lui apparaissait dans une nuée et lui répétait toujours le même conseil : « Souviens-toi, Hardik, ta volonté et celle du Divin ne sont qu'une... »

Peut-être quinze jours s'écoulèrent sans que Hardik ne sorte de sa retraite, vivant de ce qui lui restait de nourriture. Les habitants du village respectaient son deuil et avaient interdit l'accès au dispensaire pour tous ceux cherchant Hardik le guérisseur.

Un matin, Jivan estima qu'il était temps pour Hardik de reprendre contact avec la vie. Il se rendit chez lui aux alentours du quinzième matin après la mort de Pallav. Il trouva Hardik couché au sol, les yeux ouverts, fixés au ciel. A ses côtés, des restes de nourritures, et une tasse vide... Hardik ne réagit pas à la présence de Jivan.

- Hardik, mon ami... fit Jivan en s'agenouillant au sol. Viens à la maison quelques temps. Nous allons te préparer un bon repas.

Hardik se tourna vers Jivan.

- Je n'ai pas faim. Rentre chez toi et laisse-moi seul.

Jivan regarda Hardik et sentit en lui la colère monter... Il se mit à rugir de sa voix forte...

- Te laisser mourir, tu veux dire ? C'est cela que tu veux ? Tu veux que le village te laisse mourir seul ici dans l'ombre de Pallav ? Tu veux que l'on t'abandonne ? Est-ce bien cela que tu me demandes ? Tu crois que tu n'es rien ? Tu crois que sans toi de nombreuses familles comme la mienne ne seraient pas dans le deuil et la peine ? Tu crois que tous ces gens qui venaient vous voir ne se déplaçaient que pour Pallav ? Tu crois que tous ces hommes que nous repoussons chaque jour ne souhaitent pas te voir toi ? Qu'ils n'espèrent pas que tu puisses les guérir ? Guérir leur femme, leur fils, leur nouveau-né ?

- Je ne suis pas un guérisseur ! hurla Hardik en se levant. Je ne suis rien. Je n'ai sauvé ni mon père, ni Pallav. Je ne sauve personne, tu m'entends ?

Jivan sourit. Il avait réussi à faire naitre la colère chez Hardik. Cela prouvait qu'il lui restait un peu de combattivité face à la vie. Il changea de ton.

- Hardik, mon ami. Je t'aime comme mon fils, mon frère et mon ami. Viens à la maison. Nous parlerons de tout cela. Comment pourras-tu dire à Ouma, ma femme et à Kali, notre petite fille que tu ne sais pas guérir ?

Hardik regarda Pallav totalement désarmé. Il se sentait si faible, si démuni, si triste... Jivan ressentit l'état de son ami.

- Viens Hardik, c'est à mon tour de te sauver. Viens avec moi, je t'emmène à la maison. Tu verras la vie est pleine de surprises...

Avant la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant