Chapitre 57 : La dernière soirée

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Black Wall, forteresse, 17 : 39

La nuit allait bientôt tomber. Pendant ce temps, les travaux diurnes des natifs de Black Wall touchaient à leur fin. Le soleil entamait sa descente à l'horizon, réfractant ses dernières lueurs dorées sur la capitale.

Pour les soignants du château, aussi bien les citoyens que les bénévoles, il était question d'une autre rude journée achevée en vue d'atténuer l'expansion de l'épidémie. Des émissaires, comptés par milliers, campaient, de jour comme de nuit, aux entrées de la Zone Zéro et dans toutes les régions infectées de Drën-Warnoff, pour éviter un risque de propagation.

Pour les Héritiers et leurs compagnons, ce jour avait été très éprouvant, mais aussi riche en émotions. Des liens s'étaient renforcés. En tout état de cause, il y avait eu du bon.

La seigneuresse se détendait à la rotonde de la haute cour. La structure vaste et voûtée offrait une vue imprenable du ciel dégagé. Des chèvres-feuilles et des pergolas grimpantes la recouvraient depuis son ouverture, tandis que d'autres s'enroulaient autour des somptueuses colonnes ioniques. Deux fauteuils en résine tressée, munis d'un coussin beige et installées autour d'une table basse néoclassique, parachevaient l'élégance de l'endroit.

Vautré sur son siège, Loctus bourlinguait du « Venin de Tamār » ; une liqueur coriace et remède par excellence pour décompresser, au terme d'une dure journée. La bouteille dans la main, elle entendit un rire gai et féminin qui se rapprochait de son lieu de relaxation. Un bref coup d'œil sur sa droite, la rousse secoua la tête d'un air amusé. Elle recentra son attention au sommet des remparts, tout en reprenant une gorgée d'alcool.

Sa réaction résultait de l'approche d'Isaiah, accompagné d'une servante. Le Stormite, muni d'une tasse de thé, contait fleurette à la demoiselle à la beauté légère, dont le teint livide sublimait son visage ovale. Sa nippe de domestique n'entachait en rien son appartenance à la contrée Phaelysienne, reconnue pour leur manière du savoir-vivre. Elle rigolait avec grâce et parcimonie, une main portée à ses lèvres.

Arrivés au seuil des marches de la rotonde, la jeune femme courtoise salua la seigneuresse d'une courbette :

— Votre altesse !

Loctus l'accepta d'un signe de tête en retour.

— Voudriez-vous vous sustenter, Majesté ? Ou bien souhaiteriez-vous un rafraîchissement à votre convenance ? Je me ferai un plaisir de vous l'apporter.

— Ce ne sera pas nécessaire. J'ai déjà tout ce qu'il me faut, répondit-elle, en agitant sa bouteille de liqueur.

D'une gorgée, un rot sonore de satisfaction s'échappa de sa bouche ; une preuve qu'il suffisait parfois de peu pour être heureux. La servante, qui se familiarisait à peine au caractère tant intrépide que rustre de la capitaine, cilla des yeux.

— Quelle impolitesse ! s'injuria Isaiah, faussement outré par l'attitude vulgaire de la pirate. Veuillez l'excusez, gente demoiselle, les bonnes manières lui sont étrangères.

— Oh non, ce n'est rien. Il me reste encore beaucoup à faire pour m'acclimater aux coutumes Drëniennes, mais j'éprouve un réel plaisir à apprendre de Sa Majesté, rassura la Phaelysienne, se tournant avec aisance vers le commandant. Encore merci pour cette promenade, Monsieur Hawke.

Isaiah esquissa un sourire enjôleur, entretenu durant des années de cavalerie dans la peau d'un gentleman aguerri.

— De rien, lady Ann, dit-il d'une voix mélodieuse. C'est plutôt à moi de vous remercier. Notre promenade a suffi à bien clôturer ma journée.

Les joues de la demoiselle rosirent. Elle détourna les yeux du regard ardent et hypnotique de l'Allevardien qui la consumait de tout son être.

Loctus camoufla un rire, sous une toux rauque, face à la couleur pourpre qui recouvrait le teint de porcelaine de la domestique.

Crisis - T1 : La quête des Héritiers [Terminé]Where stories live. Discover now