| Chapitre 7 |

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Le cœur lourd, je peine à respirer et à stabiliser mon rythme cardiaque. Et la chaleur dans la pièce, ce feu dans lequel je suis en train d'étouffer, ne m'aide pas le moins du monde à réussir. J'ai chaud et, paradoxalement, je suis gelé de l'intérieur. Je bascule entre les deux états, l'esprit perdu entre la semi-conscience et l'inconscience. Perdu entre une multitude de pensées incohérentes et le calme plat. Perdu entre le réel et l'irréel. Plus rien n'a de sens, plus rien n'est tangible et présent dans ce tourbillon qui m'embrouille.

Couché sur un matelas dans une chambre dont je ne reconnais pas l'odeur, je tremble de douleur et de misère. Par minute, quelques grognements, râles, s'extirpent d'entre mes lèvres entrouvertes, témoins de l'état médiocre dont je suis piégé. Des vagues de douleur, aussi douces qu'une lame de rasoir, s'amènent à moi sans crier gare et me cajolent de leur présence. Si bien que je ne peux que les éprouver dans leur entièreté, sans pincettes, sans contours.

Plongé dans l'obscurité, ma tête me tourne et mes idées se rencontrent de plein fouet. Peu de temps après, je suis aveuglé par un soleil étincelant, au cœur même du territoire de ma meute. De l'endroit qui m'a vu naître et m'a élevé.

Ma maison...

« Qu'est-ce que tu voudras faire plus tard, mon grand ? »

Je me paralyse des pieds à la tête, debout au milieu de cette pièce hors du temps et de la réalité. Et puis, je réalise. Mes yeux s'ouvrent en grand, figés par cette voix évaporée de ma mémoire depuis quelques années. Troublée et surpassée par tous les cris qui sont marqués au fer rouge dans ma mémoire, elle n'a pas réussi à conserver ce souvenir. Je n'ai pas réussi.

Mais ça me suffit pour la reconnaître. La femme qui m'a mise au monde et a failli perdre la vie lors de son accouchement. Elle, et elle seule.

« Jasper sera astronaute, comme papa ! »

Cierra...

Une boule se forme dans ma gorge au rire enfantin qui s'ensuit. Dos à elles, je referme les paupières avec force afin de ne pas avoir affaire à une vision douloureuse et intemporelle de ce qui a été un jour mon foyer. Ma famille, ma meute. Une partie de moi, tout simplement.

La poitrine comprimée d'une souffrance indescriptible, bien plus grande que n'importe quelle autre douleur physique, une inspiration incertaine m'oblige à ouvrir plus grand la bouche. Et je lutte, je lutte contre mon envie d'ouvrir les yeux, de me tourner et de les voir. Ça ne ferait que rajouter une pierre de plus sur mon cœur, par-dessus toutes celles qu'il porte déjà. Même si, de cette manière, qui sait ? Je pourrai peut-être me rappeler distinctement leurs visages qui ne sont plus que flous et difformes dans ma mémoire...

Dans le lit, je m'efforce toutefois à bouger afin de me mettre sur le flanc dans l'espoir de revenir au moment présent. Égoïstement, ou plutôt lâchement, je m'y refuse.

« Papa est astronaute ? Je l'ignorais. »

Un rire chante à mes oreilles tandis que mes doigts glissent et se referment autour des draps. Je  continue de combattre. Vainement, je lutte contre moi-même et contre cette hallucination.

Comme un disque rayé, un bruit strident perfore mon ouïe et me fait grimacer avant de repartir sur une autre séquence.

« Jasper. Combien de fois vais-je devoir te le dire ? Si les autres louveteaux de la meute t'embêtent, soit tu viens voir maman, soit tu leur mets une bonne raclée à ces petits cons ! »

Impuissant, le nœud dans ma gorge se resserre. Je me revois, assis là, sur la table de la cuisine, en train de faire soigner mes petites blessures avec un morceau de tarte aux pommes en guise de réconfort. Tout ça pour chasser la mine abattue d'un petit gourmand. Et ça fonctionnait, ça marchait à chaque fois.

Cœur Obscur [Tome 2]Where stories live. Discover now