| Chapitre 8 |

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Une bourrasque d'air frais, aux senteurs du printemps, caresse mon visage. Les mains enfouies dans les poches de mon pantalon, je garde la tête penchée vers l'arrière, offerte à la clarté du ciel et à la chaleur réconfortante de ce soleil brillant. Intouchable, ici, je le suis. Face à cette cascade paradisiaque, entourée d'une verdure présente où plusieurs feuilles de couleurs m'entourent, je ne peux qu'éprouver un calme apaisant et une paix indescriptible. Une paix imaginaire, je sais, mais pourtant ancrée au creux de mon âme. Dans cet endroit illusoire, je ressens ce sentiment perdu il y a longtemps. Ce sentiment d'être enfin chez moi.

Tout ceci n'a rien à voir avec l'enfer des dernières heures. Je ne suis plus confronté à un passé que je cherche désespérément à fuir et à oublier. À cette douleur que je porte dans mon cœur et que j'essaye vainement d'étouffer. Je n'entends plus une seule voix appartenant aux ombres qui me maculent encore aujourd'hui, ceux qui ne cessent de me rendre visite lorsque je ferme les yeux. Et quand bien même le poison me faisait souffrir et me tordre de mal-être, il n'est plus. Je n'éprouve plus les vagues de douleur et de chaleur étouffantes. Au contraire, j'ai le droit à la fraîcheur de cet environnement.

Je ne suis pas idiot pour autant. J'ai pertinemment conscience que ce bonheur de courte durée ne vient pas de moi. Je suis tout bonnement incapable de créer ce prodigue. Auquel cas, toutes les fois où j'ai été empoissonné, à des doses différentes, m'auraient permis bien plus tôt de m'échapper dans ce lieu. Seule une différence est notable sur le tableau, celle qui explique toute cette douce mascarade que j'apprécie. Mon loup me le dit, me le montre par son calme et son repos bienfaiteur. Un nom, un seul. Ni plus ni moins.

Lincoln.

Il est là, tout autour de moi. Je perçois son parfum ensorcelant, digne d'une pluie fraîche en plein été. Cette fragrance de masculinité mêlée à celles, si savoureuses, des fruits rouges. Tout comme je ressens, sans le voir, la fermeté de ses bras enlacés à mon corps épuisé d'avoir tant souffert. La force qui émane de lui est facilement perceptible, non négligeable. La légendaire Neptune ne l'est pas devenue pour rien, encore moins par hasard. Je sais à qui j'ai affaire, plus que tout au monde. Mais je n'ai pas peur. Je me sens juste... protégé, en sécurité. À la maison.

Indirectement, je l'utilise pour surpasser le désagrément causé par cette jolie balle. Encore, comme je le fais à chaque fois que je perds le contrôle. Toutefois, lui et moi, ça s'arrête là. La Lune a beau s'amuser à mes dépends, à m'offrir tout ce que n'importe quelle créature de la Nuit désire plus que la vie, mon choix est fait. Et il restera inchangé, quoi qu'il advienne. En dépit des paroles de Reyes, mon livre avec lui, avec eux, a déjà pris fin et reprendra fin quand je m'en irai à nouveau. Définitivement, cette fois-ci.

Appeler l'Alpha de Red Moon a été une erreur dictée par un esprit troublé. J'aurais pu subvenir à mes besoins. Seul. Je l'ai déjà fait, bien trop de fois pour ne pas être confiant en mes capacités. Que je le veuille ou non, je suis un éternel survivant. À chaque fois, par miracle, j'arrive à m'en sortir. Par deux fois, j'ai échappé à la faucheuse devant les Hayes. Ça en dit suffisamment long sur mes espoirs de me voir un jour périr en pleine bataille, tout sauf comme un lâche. Sérieusement ? Il ne manquerait plus que ça.

L'incroyable et le magnifique Jasper Flores, survivant de multiples aventures, meurt d'une vilaine pichenette involontaire d'une vieille de presque cent ans.

Fade, ennuyeux, sans intérêt.

Ce n'est pas moi.

Un mince sourire s'immisce sur mes lèvres. Je ferme les yeux et respire une grande bouffée d'air frais, apaisé et reposé. Néanmoins, lorsque mes paupières s'ouvrent à nouveau, ce n'est plus la nature que je vois mais la chambre florale de Cora. Désorienté, je me hisse sur un coude et balaye la pièce du regard, la tête lourde de mon profond sommeil. Plus aucune trace d'un grand ténébreux, si bien que j'arrive à croire que, cette fois-ci également, je l'ai imaginé. Pourtant, je sais. Je sais qu'il était là, que ce chien a profité de mon état pour dormir avec moi.

Cœur Obscur [Tome 2]Where stories live. Discover now