| Chapitre 15 |

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Mon regard dérive sur la grande fenêtre de cette chambre sécuritaire où les rideaux d'un joli bleu roi ondulent en silence sous le gré du vent. Après être reparti dans les méandres du sommeil, sans même m'en être rendu compte, j'ai bêtement cru que j'avais imaginé la présence de mes anciens camarades de meute à mon réveil. Elena, Rebecca et même Isaac... mais les lieux où je me trouve et leurs odeurs persistantes autour de moi comme le plus doux des parfums me disent que ce n'était pas illusoire. Elles étaient là, contre moi. Et il était là, lui aussi, sur ce fauteuil à attendre mon retour.

Seuls quelques mois sont passés loin d'eux, loin d'ici. Pourtant, j'ai la stupide impression que cela fait bien plus longtemps que cela. En si peu de temps, par ce dernier mois, il s'est passé plus de choses que je ne l'aurais cru. L'apparition des têtes à claque, le clan Aleksander, la mise à mort de Phillips, le dernier nom accessible de cette longue liste, cette balle empoisonnée logée dans mon abdomen... et le soi-disant retour d'Aleksander. Rien que cela m'a amené à l'une des soirées les plus prisées en compagnie de Carl et tout s'est enchaîné. Bailey, McKenna, ce petit con d'usurpateur... et Lincoln.

Lui, et encore lui.

Quoique je fasse, ou que je vais, je pense toujours à lui.

J'ai beau l'utiliser pour me sortir de chaque crise que provoque mon loup, cette perte dangereuse de contrôle, et me plonger dans le déni à me faire croire que je n'ai pas besoin de lui : la vérité est tout autre. Quand bien même je refuse de le croire et de l'accepter, ce pauvre type est le seul à réussir à me canaliser. Réel ou non, cela fonctionne. Et il le sait. Exactement comme il sentait les crises arrivées lors de son retour à l'approche de la guerre. Et même avant.

Assis au bord du lit, face à la fenêtre entrouverte, je baisse mon attention sur mes mains. Sur les mêmes mains qui se sont accrochées à lui, lorsque la peur m'a submergé. Ses mêmes mains qui ont tenté de le repousser pour qu'il parte loin de moi autant qu'il le peut avant que les Hayes n'arrivent et ne viennent pour achever ce qu'ils avaient si bien fait de moi, de mon corps.

Notre lien me déstabilise et me rend plus faible que je ne le croyais. L'évidence alors me frappe de plus belle : je ne peux rester avec lui. Ce serait le conduire à une mort certaine et à un enfer sans fin. Je ne peux pas saisir le cadeau de la Lune.

Si tenter en est-il un avec un connard pareil.

Je souris à cette pensée. Mais tout aussi vite, mon rictus se fane.

— C'est lui, n'est-ce pas ?

La voix de Carl, rocailleuse, me parvient du seuil de la porte. Je ne prends pas la peine de me tourner dans sa direction. Tout comme je ne prends pas non plus la peine de lui répondre et de lui demander ce à quoi il fait allusion.

Bien sûr, il a fallu que ce soit lui à surprendre cette foutue conversation avec ce démon. Et que son intelligence, ainsi que son intuition, fassent le reste.

— Il m'est arrivé d'imaginer ce que la Lune te choisirait comme compagnon, débute-il naturellement. À plusieurs reprises.

Ma tête s'oriente sur le côté, de manière à l'avoir dans mon champ de vision. Son regard noisette tombe directement dans mes yeux verts.

Appuyé sur le chambranle de la porte, il dodeline lentement du menton.

— Faible ? Moins dominant que toi ? Non, ça n'aurait pas été. Tu te serais lassé. Ou pire encore, tu aurais pris le rôle d'une gentille maman face à un bébé trop fragile pour le monde extérieur.

Il grimace pour intensifier ses propos.

— Mais...

Il lève son index et m'accorde un sourire en coin qui aurait retourné l'estomac de n'importe quelle créature de la Lune.

Cœur Obscur [Tome 2]Where stories live. Discover now