Chapitre Huitième : Kao

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La bouilloire siffla, l'eau était à la température adéquate, quatre-vingt-quinze degrés Celsius, pas un de plus, pas un de moins. L'art du thé reposait sur la précision, utiliser une eau trop chaude pour faire ressortir l'amertume des feuilles, au même titre qu'une infusion trop longue. Il était inenvisageable de rater la préparation de l'Earl Grey alors que le maître recevait des invités. C'était la première fois, depuis que Votra était à son service, que le manoir accueillait des convives. Un homme savant et une jeune fille ! Tout ceci était bien mystérieux et cela ne le regardait.

Elle préleva avec soin les feuilles de thé et les disposa dans une théière en fonte bleue, finement ouvragée, puis versa l'eau dessus. Quatre minutes, c'était la durée exacte avant de retirer les feuilles, la seule qui satisfaisait le maître. Votra patienta et égoutta enfin le filtre, elle le plaça dans une coupelle à part puis vérifia son plateau. Quatre tasses, la théière, les feuilles usagées. Tout était prêt. Elle le souleva et prit la direction du petit salon. Elle dut descendre trois escaliers et franchir trois couloirs, la configuration avait encore changé. Heureusement, elle était devenue experte en la matière, mais le manoir vivant avait bien failli la rendre folle les premières années. Désormais la daitya considérait cela comme un jeu qui permettait de rompre la monotonie quotidienne. Elle déposa le plateau et s'éclipsa sans un bruit.

Copédra regardait, soupçonneux, la théière. Il n'avait jamais vu pareil objet dans l'Empire, et en tant qu'alchimiste il avait préparé de nombreuses infusions, décoctions, macérations, aucune n'était pour le plaisir, aucune n'était agréable à déguster au détour d'une conversation. Que pouvait bien être cette mystérieuse plante que leur hôte appelait thé ? Et qui était-il ?

L'alchimiste avait rejoint les cercles du pouvoir de l'Empire Ancestral assez tardivement, contrairement à Isis et Opalis qui assistaient Dévandra depuis sa nomination. Pour cette raison, il n'avait jusqu'à présent jamais eu l'occasion de rencontrer Kao, il lui était alors impossible de s'assurer que l'homme en face de lui disait la vérité. Il l'observa, méfiant, verser la liqueur dans les tasses. Un doux parfum parvint à ses narines, un mélange de fleurs et d'agrumes. Enivré par l'odeur, il décida qu'il se laisserait tenter, une fois que la préparation aurait refroidi. Copédra haussa les sourcils, quatre tasses reposaient sur le plateau, mais ils n'étaient pourtant que trois. Le dieu ressentit sa perplexité.

— Nous attendons un dernier invité avant de poursuivre, fit-il.

Un bruit sourd s'échappa du plafond, comme si un objet lourd venait de s'écraser avec fracas sur le plancher.

— La voici enfin.

Kao claqua des doigts et Mya apparut sur le fauteuil encore inoccupé. La jeune femme était complètement déboussolée, quelques secondes auparavant elle était encore avec la faucheuse, en train de voyager à travers le Marevu, puis la femme à la chevelure de feu l'avait projetée à travers un portail, comme si elle n'était rien de plus qu'un sac de linge sale, et voilà qu'elle se retrouvait confortablement assise dans un manoir, face à un homme qu'elle ne connaissait pas, une jeune fille aux yeux vairons et Copédra. Copédra !? Que faisait-il ici ? Lors de son attaque le démon s'amusait pourtant du sort qu'il réservait à l'alchimiste aux Enfers. Elle le dévisagea, stupéfaite. Il lui répondit d'un clin d'œil et d'un grand sourire. Pas de doute possible, c'était bien lui.

Un léger bourdonnement envahit le salon de thé, accompagné de pulsations lumineuses. Le pendentif de Mya s'agitait, elle voulut s'en saisir mais il lui échappa et rejoignit leur hôte. Il atterrit avec douceur dans le creux de sa main et le dieu la porta à son cœur, les yeux fermés, il priait silencieusement et annonçais aussi à Dévandra que sa protégée était saine et sauve. La jeune Tamashi le regarda et comprit. La faucheuse n'avait pas menti, elle l'avait bien menée jusqu'au Mereti et mieux encore, directement chez le dieu, bien que Mya n'aurait su dire si la destination du portail était due à la femme rousse. Kao s'amusa de sa réaction et sembla lire dans ses pensées.

Les Fresques Ancestrales : L'ÉlueWhere stories live. Discover now