Chapitre Neuvième : La Marque

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Elle laissa tomber, lourdement, tête la première, sur l'énorme et moelleux lit de la chambre qui venait de lui être assignée. Mya n'avait pas dormi depuis son départ de l'Empire Ancestral, sa seule tentative de repos s'étant soldée par son combat contre le daitya. Elle roula dans le lit et admira la blancheur immaculée du plafond et des murs. Tout semblait si pur dans ce manoir que cela paraissait presque irréel, comme un rêve, et si elle fermait ses yeux, elle les rouvrirait dans la salle de cours, grondée par une Isis furieuse qu'elle se soit encore endormie. La jeune Tamashi restait rongée d'inquiétude pour cette dernière, mais Kao avait renvoyé Copédra chez lui, et il s'avérait être la personne la plus à même de parvenir à la sauver.

Mya ne s'était jamais vraiment intéressée à la concoction de potions et autres breuvages, le rayon d'expertise de l'alchimiste, ce faisant elle ne l'avait guère fréquenté et son comportement fantasque la mettait mal à l'aise, néanmoins une profonde bonté émanait de l'homme. La jeune femme avait aussi remarqué les regards qu'il faisait lorsqu'il apercevait Isis au loin, l'éclat qui brillait dans ses pupilles lorsqu'elle lui parlait, et sa diction qui s'emballait chaque fois qu'elle lui souriait. Oui, Copédra donnerait son être entier pour la sauver, il n'y avait aucun doute possible.

Derrière la porte, restée entrebâillée, Chizu observait Mya. Ses yeux vairons regardaient avec curiosité l'ancestrale. Sa mère lui parlait souvent d'eux, elle les décrivait comme une race abjecte et insipide, la jeune fille désirait forger son propre avis. Au fond d'elle, elle ressentait aussi une certaine proximité avec la jeune Tamashi, toutes deux avaient été forcées de quitter leur foyer et d'abandonner leurs proches.

Leurs regards se croisèrent par hasard, la fille de Nakãra s'enfuit et se réfugia sous la couette de son lit. Il était hors de question de discuter avec cette inconnue pour l'instant. Sa journée, éprouvante, la rattrapa. Elle se laissa tomber dans les bras de Morphée.

La flamme du bec bunsen rugissait, chauffant avec ardeur le contenu du tube à essai. Le liquide noir qu'il contenait y semblait insensible, Copédra en restait perplexe. Jamais il n'avait été confronté à une solution liquide qui ne bouillait pas, lorsque portée à une température si intense. Il avait laissé son montage fonctionner une nuit entière mais rien n'avait changé à son réveil. Néanmoins, l'alchimiste n'abandonnait jamais.

Cet échec, ainsi que tous les précédents, constituait une simple étape dans sa démarche scientifique. Il devait comprendre ce qu'était cette mélasse, ou tout du moins saisir son fonctionnement, la manière dont il s'attaquait aux organismes. Car si ses expériences précédentes avaient démontré quelque chose, c'était bien l'absence de réaction avec tout composé inorganique. Il ne restait à Copédra qu'une dernière alternative, même si l'idée lui déplaisait, l'usage de cobayes. Isis avait été blessée lorsqu'il était captif, il n'avait pu suivre l'évolution du mal qui la rongeait, ni analyser les défenses déployées par son corps pour le contrer.

L'alchimiste coupa l'arrivée de gaz du bec bunsen et le rugissement se tut. La sécurité avant tout. Il quitta son laboratoire, verrouilla la porte derrière lui et prit la direction du bureau de Dévandra.

Elle ne s'y trouvait pas. Copédra jeta un œil par la fenêtre, le soleil se couchait. Il pesta, une journée de plus de perdue à ruminer et buter, il ne progressait pas assez vite. Plus que tout il craignait d'échouer et de perdre Isis.

Il se laissa porter par une odeur de lavande jusqu'au toit-terrasse du palais. La dirigeante de l'Empire s'y tenait accoudée à la balustrade, ses prunelles améthyste perdues dans l'horizon.

— Toi aussi tu es venu admirer les couleurs du ciel crépusculaire ? s'enquit-elle.

Il resta silencieux, il ne voulait pas rompre la quiétude de l'instant, la magie du moment. La douce brise qui soufflait, le pépiement des oiseaux, voilà qui suffisait à chasser, pour quelques minutes, les inquiétudes et soucis qui les assaillaient en ces temps sombres.

Les Fresques Ancestrales : L'ÉlueWhere stories live. Discover now