Épilogue

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La gondole filait sur l'eau du canal, dirigée par les mouvements précis de son habile batelier. Il ne voulait prendre aucun risque, pas avec la précieuse cargaison qu'il transportait. En ce jour, Mya Tamashi lui faisait le privilège d'être sa passagère. Il s'imaginait déjà la tête que sa femme ferait lorsqu'il lui raconterait. Il n'était pas donné à tous les gondoliers d'effectuer la traversée pour un habitant du palais, même pour ceux qui opéraient dans les quartiers huppés. Alors dans la moyenne ville ?

— Tu en penses quoi Chi' ?

— C'est toujours aussi beau... Je ne m'en lasse pas.

La jeune fille souriait, cheveux au vent. Le menton calé entre ses mains, elle admirait de ses yeux vairons le reflet des bâtiments sur l'eau. Plusieurs mois avaient passé depuis son arrivée dans l'Empire et Mya s'était fait une mission de lui présenter chaque recoin de l'Odyssée Ancestrale, capitale de l'Empire. Elle lui avait déjà présenté la place du Chêne. Un jour de marché qui plus est ! Jamais Chizu n'avait vu autant de monde, vaquant librement à ses occupations.

Il faut dire que la vie dans les Enfers différait grandement. Là-bas, la population se composait essentiellement de démons, pour la plupart dénués d'intelligence et de libre arbitre. Les rares êtres sensés effectuaient continuellement des missions pour le compte de Nakãra. Il n'y avait pas de place pour le commerce. Encore moins pour des futilités.

Malgré tout, sa maison lui manquait. Au début elle l'avait gardé pour elle, puis elle avait accepté de s'ouvrir à Mya, plus encore. Elle lui partageait ses ressentis. Ensemble elles cherchaient des moyens, toujours plus divers, de tromper sa mélancolie.

Aujourd'hui, son amie avait décidé de l'amener au cabinet des curiosités ! Une sorte de musée, rempli d'artefacts tous plus étranges les uns que les autres. À écouter Mya, il s'agissait d'un des lieux les plus extraordinaires de tout l'Empire. Chizu n'était pas certaine de la croire. Des vieilleries bizarres, ce n'était pas la plus palpitante des aventures. Explorer la forêt, ou voyager jusqu'au royaume des elfes, voilà ce qui l'intéressait. Mais elle n'en avait pas le droit. Elle soupira discrètement.

— On est bientôt arrivées ?

Mya pointa du doigt une bâtisse à la façade torturée, arborant une pancarte sur laquelle était inscrit en lettres noires : « Entrée gratuite ».

— Tu vois ce bâtiment ? Juste après le pont, sur la droite. C'est là.

Le gondolier freina l'avancée de l'embarcation. Il la rapprocha de la bitte d'amarrage et l'y accrocha. Il mit un pied sur la terre ferme afin de stabiliser la barque puis aida Mya à sortir. Elle grimaça, mais se tut ; Chizu aussi. Elle le paya. Il la remercia et s'éloigna en deux coups de rame.

— Je suis désolée Chi'...

— T'en fais pas, dit-elle en haussant les épaules, j'ai l'habitude.

Le carillon de la porte tinta alors qu'elles entraient dans la boutique. Aussitôt elles furent accueillies par un grand sourire, maladroitement dessiné sur un visage marqué par les années. L'homme qui se cachait derrière se prénommait Dan, l'antiquaire. Il tenait la boutique depuis la mort du précédent propriétaire. En réalité, les locaux lui appartenaient depuis toujours. Il avait simplement voulu prendre sa retraite, il y a quelques années de cela. Les circonstances le forçaient à reprendre du service. Cela ne lui déplaisait pas pour autant.

Dan aimait son métier. Cela se ressentait à travers la lueur qui brillait dans ses yeux à chaque fois qu'il arpentait le marché de la capitale, à la recherche de nouveaux artéfacts, de quelques nouvelles bizarreries à exposer dans son musée. Chaque semaine, il parcourait les étals de chaque camelot, venus de tout l'Empire, à la recherche de la perle rare. Lorsqu'un objet attirait son regard, il l'examinait sous toutes ses coutures. Il ne laissait rien passer. Son œil expert attrapait le moindre détail. Un relief trop précis pour l'époque supposée de sa conception ? Dan maugréait et repartait nonchalant, la démarche assurée malgré l'apparence fragile de ses jambes. Il n'offrait pas de deuxième chance. Dès lors qu'un marchand avait tenté de lui refourguer une contrefaçon, il devenait persona non grata aux yeux de l'antiquaire. Pire ! Les gens de la capitale, conscients de son don, n'hésitaient pas à faire de même. Au fil des années, cela avait permis de chasser la plupart des escrocs. Les plus malins, eux, ne lui présentaient rien, ou alors seulement leurs quelques vraies pièces pour ne refourguer la camelote qu'aux ignares. Et alors, s'il trouvait un objet digne de son intérêt, il déliait sa bourse, sortait des espèces sonnantes et trébuchantes, puis repartait avec sa trouvaille, l'air satisfait.

Les Fresques Ancestrales : L'ÉlueWhere stories live. Discover now