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𝐦𝐚𝐫𝐢𝐧

L'eau fait des clapotis sur la coque du bateau, alors que je range les voiles. L'air frais de l'Atlantique rend mes cheveux un peu plus bouclés. Je les plaque sur mon crane mais ils reviennent inévitablement à leur place initiale. Alors, sentant que ça ne sert à rien d'insister sur une chose aussi basique, je les laisse aller et venir comme bon leur semble. Peut-être qu'une légère brise leur permettra de se rendre compte qu'ils n'ont pas leur mot à dire.

Dans mes oreilles, mes écouteurs sans fil crashent des titres aléatoires téléchargés à l'avance. Je chantonne le plus doucement que je peux, de peur que ma mère ou mon frère m'écoutent. Un regard aux alentours me prouve que je suis bel et bien seul sur le bateau.

Quand les deux voiles sont descendues, que j'ai vérifié qu'elles ne risquent pas de se détacher, je me pose, les pieds dans le vide, mes yeux vers les vagues. La mer a toujours été mon lieu de repère, un endroit où je me sens comme tel que je suis et non comme les jeunes de mon âge. Sa finesse m'a toujours envoutée. Elle nous prend d'un coup, sans qu'on ne s'en rende compte. Elle nous porte là où elle veut, là où elle pense que c'est le mieux. Certains ont en peur, certains la déteste, mais moi c'est ma deuxième mère.

Lorsque ma vraie ne peut pas comprendre ce que je ressens, je plonge dans ses profondeurs et attend qu'elle fasse de moi une personne toujours différente. J'en ressors tout le temps essoufflé d'avoir été aimé, essoufflé d'avoir aimé.

À ce moment-là, plus rien ne peut m'atteindre. Pas même le manque ou la fatigue. Les supplices du monde sont inaudibles quand nous sommes au large. Il n'y a que les poulpes, les dauphins et les raies dans les profondeurs. Seuls sont nos voisins les animaux marins.

Au loin, le bruit d'un bateau à moteur me parvient, signe que nous nous rapprochons de la cote. Néréo, mon frère court pour aller s'installer sur les filets à l'avant du bateau. La nuit, je viens souvent y admirer les étoiles. Il s'allonge, formant une étoile de mer avec ses bras et jambes. Il n'est seulement âgé de sept ans, mais sais plus de choses que la moitié des enfants de son âge. J'aime passer du temps avec lui, car je sais qu'il va m'apprendre quelque chose de nouveau à chaque fois. L'entendre me parler de ce qu'il aime, ou de ce qu'il aimerait aimer, est la chose la plus apaisante que j'ai eu à vivre.

Néréo est le frère que tout le monde souhaite avoir. Coup de chance, c'est le mien. Peut-être que je ne sais pas l'aimer comme il devrait être aimé, peut-être qu'il n'est pas fait pour moi et qu'à la base, il ne m'était pas dédié. Mais quand on réfléchit bien, c'est moi à son âge que je vois se refléter dans ses yeux et dans ses actions. Il est ma version enfantine améliorée. Une version on ne peut plus meilleure. Son vécu fait partie de cela, j'en suis persuadé.

Je pars m'installer à ses côtés, quand ma mère m'interpelle. Elle est debout devant la barre, son regard soucieux me fait peur. Alors je lance un regard désolé à Néréo en me tournant vers elle. En quelques pas, je suis à ses côtés, ma main sur son épaule me permet de lui dire qu'elle peut commencer. Elle tape directement sur l'écran qui nous sert de GPS mais aussi de suivre toutes les statistiques concernant le bateau. Un voyant rouge m'interpelle, me faisant cligner des yeux.

Je m'accoude au rebord pour mieux lire la simple phrase qui s'affiche en gros. En fond, le dessin du moteur clignote, de plus en plus vite.

— Oh mince...je chuchote en me tournant vers ma mère qui a regroupé ses mains devant son visage. Comment on fait ?

— Je n'en sais rien, Marin. Surtout, ne t'inquiète pas. On va chercher une solution.

Le stress contrôle toutes mes émotions et je me tire les cheveux en tournant sur moi-même.

Let Somebody Go T.1Where stories live. Discover now