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𝐦𝐚𝐫𝐢𝐧


Devant nous, notre bateau part. Une grue l'emporte vers ses nouveaux compagnons. Tous les trois, nous le saluons, le chef des réparations près de ma mère. Néréo se tient à ma hanche et je passe ma main par-dessus ses épaules, le rapprochant de moi le plus possible. De ce fait, j'espère au moins lui communiquer toute la force que j'ai. Il a passé une grande partie de sa vie sur ANTINEA, ce catamaran a beau être seulement de la matière, il est pour nous constitué de tous nos souvenirs mais surtout de tout notre espoir.

Quand notre vie a basculé, faire ce tour du monde était pour nous une évidence. C'était la chose la plus belle que nous puisons faire pour lui et pour sa mémoire. Alors de voir partir ce qui forme notre existence depuis maintenant deux ans fait mal. C'est comme si une partie de mon cœur partait. Que des millions de millimètres se dispersaient mais que je n'étais assuré en rien qu'ils reviennent indemnes.

C'est cela ma plus grande peur, je pense, que mon cœur se brise et que ses morceaux ne puissent plus s'assembler comme avant.

Aujourd'hui, je ne suis sûr que de deux choses :

·      Qu'espérer que tout aille comme on l'espère ne suffit pas toujours. Les plus grands changements ne font pas toujours les meilleurs souvenirs.

·      Que rien n'est ancré à jamais et que tout peut un jour basculer. Dans les bons comme dans les mauvais moments.

Je revois encore son visage quand je regarde mon frère. Il lui a tout donné, ses yeux et son sourire. Lorsque je le serre dans mes bras, j'imagine des fois que c'est lui, que c'est lui qui me demande où on en est et qui me récite son alphabet grec. Mais c'est bel et bien Néréo et j'en suis on ne peut plus heureux. Si jamais il venait à s'en aller, je ne sais pas comme je ferais. Nous sommes pour tous les trois notre point de repère. Dans la mer ou maintenant sur terre.

—        C'est quand qu'on repart ?

—        Quand ces gentils messieurs l'auront décidé.

—        Et s'ils ne décident jamais ?

—        Alors on sera obligés de leur botter le cul.

Il rigole et je souris. Son rire résonne encore en moi. Il bute contre tout pour prendre sa place dans mon cœur.

On nous explique les réparations que cette panne va engendrer et surtout le prix que nous avons à payer. C'est fou tous ces zéros après ce deux. Mais heureusement que quand nous sommes partis de Guadeloupe, ma mère a vendu notre maison ainsi que notre voiture, récupérant un maximum d'argent. À cette heure-ci, une partie va nous permettre de signer et de donner notre accord.

Et c'est à ce moment que je pense à notre nouvel habitat. À cette maison de pécheur à deux pas de la plage et de l'eau. Les souvenirs de notre première visite me reviennent en mémoire. Je nous imagine cuisinant les dimanches matin, riant les samedis soirs et rêvant chaque jour qui nous est donné. Sans vraiment savoir pourquoi, je me dis que nous allons être biens. Même si ce n'est pas notre zone de confort, ici nous allons tout faire pour nous sentir chez nous. Notre mère est la pro pour ça.

C'est le meilleur compromis si nous voulons repartir au plus vite, j'en suis persuadé.

Je prends Néréo par la main et lui chuchote quelque chose à l'oreille :

—        Tu as tes affaires ?

Il hoche la tête.

—        Tu veux qu'on aille dans notre nouvelle maison ?

Let Somebody Go T.1Where stories live. Discover now