08.

37 5 26
                                    

𝐞𝐯𝐚𝐧𝐞

À moitié perdue dans les rues d'Hossegor, je déambule le regard vide dans cette ville qui m'était auparavant familière. Tout ce que je vois est comme inconnu alors que ça ne l'était pas il y a quelques temps. Les magasins sont tous ouverts mais chacun d'eux me parait sans vie. Comme moi. 

Neuf heures sonnent quand je reviens sur terre. Mon cœur bat à toute allure quand je m'approche du port, les dossiers de mon père contre ma poitrine. Il m'a demandé de les lui apporter car il les avait oubliés ce matin en partant. J'aurais aimé lui dire d'aller se faire voir mais j'ai bien trop peur de la réaction qu'il pourrait avoir. Il n'est pas violent mais impulsif. Jamais il n'a levé la main sur quiconque, que je sache du moins, et je sais pertinemment qu'il n'en serait pas capable. Il est comme tout le monde, seulement élevé par un père sévère et une mère qui n'avait pas son mot à dire. Ce comportement a été son modèle et il n'a jamais appris à vivre autrement. Mais ma mère n'est pas comme la sienne et lui n'est pas comme mon grand-père, aujourd'hui défunt. 

Il a vécu avec comme seules pensées le fait que son père ne l'aimait pas, comme moi. Ce ne sont pas des excuses, mais des affirmations. Tout l'empêchait d'agir différemment et de ne pas reproduire les mêmes erreurs, pourtant, ça a été son choix. Un jour peut-être il se rendra compte que nous vivons le même enfer. C'est l'un de mes plus grands rêves. 

Ce sera quand mon père m'aimera pour qui je suis et non pour s'échapper de ses démons. Les miens me suffisent, je n'ai pas besoin des siens. 

Obsédée par l'idée qu'ils refassent surface, mes écouteurs restent perpétuellement sans son. C'est un rôle que je joue, un script qui ne change jamais et une vision des choses qui est vouée à être la même. À quoi bon s'arrêter si rien ne change ? Tout parait identique, les mots, les émotions et les actions. Ainsi, ma vie est depuis un clone raté de celle de l'Evane d'avant. Peut-être que si j'avais réagi autrement, ça serait différent ou peut-être que ça aurait été pire. Réellement, je n'en espérais pas mieux venant d'elle. J'ai appris à la décrypter et à connaitre la signification de ses agissements incessamment douloureux. 

Alors la plupart du temps, je mens. Je souris et je ris. Mes yeux se plissent et mes lèvres s'étirent. Je suis une menteuse et je suis fière de ça. Le courage d'arrêter de faire cela est bien plus fin que celui de jouer ce rôle. Des fois je me trompe, je m'invente une vie et je crée des blagues. Mais quelques fois, mes sourires et mes rires sont vrais. Ces moments-là, je souhaiterais qu'ils se fassent plus récurrents, que je n'ai plus à mentir et répondre que ça va alors que non. 

Des fois, sans vraiment le prévoir, tout ce que je dis, ainsi que mes sourires, viennent du cœur. J'aime ces instants d'allégresse où seul le peu de bonheur dont j'ai accès consume mon corps le plus possible. J'en suis ivre, éperdument. 

Le long de la plage, je coupe mon cerveau et lui demande de ne plus penser à quoi que ce soit. 

J'entre dans son bureau sans frapper. Il est assis, dos à son écran, tête baissée. Sans vraiment savoir pourquoi, cette position me plait.

— J'ai tes documents. Je te les pose où ?

— À ton avis ? répond-il, froidement en se tournant pour me faire face.

Mes membres tremblent et mon ventre se serre. Trop, trop vite, trop fort.

— Merci, Evane.

Je sursaute, ne m'attendant pas à ses remerciements, surtout après notre confrontation d'hier. Mais ça me fait plaisir sauf que je ne dois pas lui montrer, ça renforcerait son égo déjà surpuissant – pas aussi gros que celui de Marin, bien entendu. Sa mention fait naitre un rictus sur mes lèvres. Je l'efface aussitôt. Mon père pourrait bien trop facilement deviner à quoi je pense.

Let Somebody Go T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant