5. Naviguer à travers la colère

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C'était lundi, et Madame Lorem n'était pas au bout de ses surprises à peine la semaine entamée.

— Vous avez parlé avec quelqu'un, sur la plage ?!

Cette façon qu'elle avait de s'exclamer chaque fois que Lumine lui faisait part de ce qu'elle considérait comme un progrès commençait sensiblement à l'agacer. Elle savait à quel point c'était un pas en avant, mais préférait quand Madame Lorem la regardait sévèrement en remettant ses lunettes sur le haut de son nez, aussi muette qu'une carpe.

Lumine hocha la tête pour confirmer pour la troisième fois consécutive. Elle ne voyait pas pourquoi sa thérapeute n'arrivait pas à intégrer l'information qu'elle lui donnait, et à chaque fois qu'elle lui reposait la question, Lumine se renfrognait un peu plus et penchait le regard vers ses pieds.

— Ahem.

Semblant comprendre que son manque flagrant de professionnalisme avait refermé Lumine sur elle-même, Madame Lorem se ressaisit, son dos venant se mettre droit comme un i, ses lunettes une fois encore remontées sur l'arête de son nez.

— Si vous arrivez à parler avec un inconnu, vous allez pouvoir tout doucement aborder une prochaine étape, qui je pense vous sera nécessaire à un moment donné.

Lumine appréhendait. Quand Madame Lorem commençait par évoquer une prochaine étape, cela amenait toujours du travail personnel conséquent que Lumine se savait incapable de réaliser.

Pas maintenant tout du moins.

Elle avait déjà passé tout le week-end à rester cloîtrée chez elle à ressasser ce moment sur la plage avec ce dénommé Childe, le patient juste après elle. Elle ne savait pourquoi son esprit ne cessait de repenser à lui. Sûrement parce qu'il était comme elle. C'était certainement la raison pour laquelle elle avait supporté sa présence.

— Lumine, n'y a-t-il personne avec qui vous souhaitez renouer ? Un ami, par exemple.

Les yeux de la blonde s'agrandirent momentanément sans pour autant se détourner du sol.

Un ami.

Ce terme s'était vu s'échapper de son vocabulaire depuis lors. Ça faisait si longtemps qu'elle n'avait pas contacté quelqu'un qu'elle avait jadis considéré comme un ami qu'elle n'était plus sûre de savoir encore comment faire. Et au-delà de savoir s'y prendre, elle était sûre que c'était au-dessus de ses forces.

— Je sais que vous vous êtes coupée du monde depuis l'événement, ajouta Madame Lorem, ce qui fit finalement relever légèrement le regard de Lumine vers elle. Vous ne vouliez plus voir personne, et c'était tout naturel. Mais pour combattre le deuil, on ne peut le faire tout seul. C'est humain, il nous faut un soutien. Et vous Lumine, qui avez-vous pour vous soutenir ?

Madame Lorem la regarda droit dans les yeux avec les certitudes de l'arbre Irminsul décrit dans les légendes. Lumine ne connaissait que trop bien cette expression sérieuse qu'elle revêtait ; elle avait un message à ancrer dans son esprit, à côté duquel elle était vraisemblablement passée depuis le début de ses séances.

Qui avait-elle pour la soutenir ?

Aether, bien sûr. Mais elle savait au fond d'elle-même qu'il n'était pas la personne qui pouvait calmer ses pleurs car il comprenait ce qu'elle traversait. Ils étaient jumeaux, et ils se connaissaient mieux que personne. Pourtant, ce n'était que depuis l'événement que Lumine s'était rendu compte à quel point ils étaient différents. C'était comme si elle marchait le long d'un couloir sans fin avec Aether qui courait après elle, la main tendue, sans jamais pouvoir la rattraper.

Finalement, elle était seule.

L'unique personne à qui elle s'apparentait n'était autre que cet inconnu avec qui elle avait parlé. Ironique, n'est-ce pas ? Un parfait inconnu dont elle ne connaissait rien était son ancrage.

FR | Song for the Broken | ChilumiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant