8. Faiblesse

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C'était jeudi, et Childe n'était pas revenu à cet endroit depuis le drame. C'était jadis son endroit favori où il se plaisait à emmener ses frères et sœurs pour contempler la superbe vue que ce point d'observation accordait.

A l'extrémité de la petite ville, la plage cédait le pas à une falaise qui devenait progressivement escarpée. Là, oublié de tous, un petit parc subsistait, entretenu par la ville sans que personne ne daigne l'assombrir de sa présence. Un banc esseulé à peine à quelques mètres du précipice se tenait fièrement malgré les années, sa couleur verte depuis longtemps écaillée, niché dans une cavité formée par les branches d'un gigantesque saule-pleureur. Cette magnifique cachette, bouclier contre les aléas malencontreux de la vie, donnait à ce lieu un petit quelque chose d'unique qu'il était bien dur de retrouver ailleurs dans cette ville, une petite touche de morosité que même le nom de l'arbre ne pouvait nier, et qui pourtant rendait ce paysage resplendissant.

Le raffut de l'océan parmi la pénombre se faisait ahurissant, une profonde angoisse hérissant les poils de Childe. C'était jadis son endroit favori, mais désormais, il en était effrayé. La seule lumière faiblarde du lampadaire ancien qui était posté juste à côté du banc parvenait avec difficulté à maintenir une lueur décente, les ombres à deux doigts d'engloutir cet endroit tout entier.

Si ça ne tenait qu'à lui, Childe serait déjà reparti d'ici fissa. Il y avait quelque chose de dérangeant dans cet endroit, dans la façon dont il éveillait une ribambelle de souvenirs qu'il avait désespérément tenté de rayer de sa mémoire, dans la façon dont seule une flaque de lumière entourait le banc avant que le néant ne reprenne ses droits. Il se sentait happé par ce vide sidéral, désireux d'effacer sa présence de cet endroit où il n'apportait que les pleurs et les cris.

Néanmoins, à ses côtés, Lumine se tenait droite, le noir tentant d'absorber sa silhouette en son sein. Elle avait perdu son éclat, mais même en en ayant été dépossédé, sa présence était trop exceptionnelle pour que l'obscurité ne mène à bien ses sombres desseins.

— C'est magnifique, souffla-t-elle à ses côtés.

Pourtant, ces mots n'étaient pas emplis de l'admiration qu'il s'attendait à y trouver, et il crut presque discerner ce tremblement de sa lèvre quand elle ouvrit la bouche.

Il faisait noir, le froid se faisait plus présent, mais cela ne semblait guère la gêner. Au contraire, elle semblait même être dans son élément, comme si elle était une enfant de la nuit qui n'en avait pas la carrure. Et Childe en fut attristé, car au plus profond de lui, il savait qu'elle n'appartenait pas à ce monde où l'espoir se faisait oublier ; ce monde dans lequel il s'enfonçait de plus en plus chaque jour qui passait.

Une expiration lui échappa, heureusement couverte par le bruit des vagues qui l'occulta des oreilles de Lumine. Il prit un pas plus loin, et s'assit sur le banc, et Lumine suivit son exemple peu après, bien que plus lentement, bien plus prudemment.

Tous deux côte à côte dans le froid et dans la nuit, leurs esprits s'en allèrent, chevauchant les vagues de leur imagination accompagnées par la clameur de l'océan en contrebas, se jetant à corps perdu sur la falaise pour la faire céder.

C'était tout ce dont ils avaient besoin : une présence silencieuse, qui n'avait pas la nécessité de crier sa présence pour être un réconfort momentané.

Mais Childe s'interrogeait ; à propos de sa réaction, de cet éclat qu'il pensait ramener dans ses yeux mais qui persistait à être anéanti, de ses ongles qui se plantaient dans la peau de ses mains serrées.

— Tu es déjà venue ici, n'est-ce pas ?

Une vague en contrebas fit la rencontre de la roche, le fracas résonnant autour d'eux.

FR | Song for the Broken | ChilumiWhere stories live. Discover now