CHAPITRE VI : Un thé de Fous

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Le Royaume des Sorts était aussi merveilleux qu'inquiétant

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Le Royaume des Sorts était aussi merveilleux qu'inquiétant. Il se laissait traverser une porte à la fois, et chacune d'entre elles donnait sur un endroit nouveau, complètement différent du précédent. Il faisait nuit, il faisait jour. La chaleur était étouffante, puis on grelottait de froid. Ils marchaient sur les routes, puis sur les plafonds, la tête en bas. L'espace et le temps n'avaient plus aucune règle. Le Royaume offrait des scènes burlesque. Porte jaune. Un champ de blé dans lequel les épouvantails valsaient avec les corbeaux aux sons de leurs croassements. Porte violette. Des chaudrons enflammés au milieu d'une cabane. Porte orange. Un spectacle de cirque, l'anneau de feu, les jongleurs, les trapézistes, tous des animaux de ferme.

La porte suivante menait sur la capitale. Cal et Louve avait atterri sur les toits des maisons en bois, comme à la campagne. Le palais se dressait un peu plus loin, faudrait-il y aller à pied ? Louve avait pris son élan et avait commencé à sauter de toit en toit. C'était facile pour elle, un peu moins pour Cal qui trébuchait et qui se prenait les pieds dans les cheminées. 

Une nouvelle porte se présentait. A travers elle, une salle de bal, vide, à l'exception de trois jeunes femmes en robes royales, lampes à huile à la main qui semblaient attendre patiemment leurs prétendants qui ne venaient pas. Elles se passaient compulsivement du rouge sur les lèvres, du far sur les joues, sur les paupières, et du verni sur les ongles sans jamais être satisfaites du résultat. La dernière porte s'était ouverte d'elle-même. Son vieux bois lui donnait des allures médiévales.

Hurlements et éternuements ininterrompus les avaient accueillis dans la cuisine. Les garnitures de foyer tournoyaient autour d'une femme en noir, assise sur un tabouret à trois pieds. D'une main, elle berçait un bébé enveloppé dans une épaisse couverture. De l'autre, elle remuait ce qui paraissait être un ragoût dans un gros chaudron. Elle y goûtait un peu avec une cuillère en bois. « Ce n'est pas correct ! Il y a certainement trop de poivre dans ce ragoût ! Trop de poivre ! » s'était alors plaint Madame Philippa.

À la vue de Cal, Sorcière avait pourtant arboré un grand sourire. « Ah ! Je vous attendais, humain ! Venez donc ! C'est bientôt l'heure du dîner !» puis elle avait jeté la cuillère en bois dans les airs. Elle avait ensuite ouvert une grande porte à battant qui était sortie de nulle part. Madame Philippa était une femme extravagante, mais sa folie n'avait rien de surprenante et n'était pas bien différente de la folie commune. Après tout, chaque habitant du Pays de l'Ailleurs possédait un grain de quelque chose. C'était ce qui faisait leur richesse. Tout comme leur ruine. 

La porte menait à une grande salle royale avec, à son centre, une longue table arrondie autour de laquelle les convives attendaient. Sorcière levait les deux mains au plafond : « Mangez autant que vous voudrez ! » et des repas virevoltaient depuis les airs jusque dans les assiettes de chacun. « Goûtez au ragoût ! » avait-elle fait d'un ton aimable. Cal s'était assis, avait parcouru la table du regard, mais il n'y voyait pas du tout le ragoût. 

Était attablée une étrange assemblée qui se composait d'animaux, de véritables animaux aux ailes et aux pattes, aux museaux et aux becs, d'humeur festive et visiblement affamés. Un corbeau et un chat goûtaient aux desserts, des tartes à la mélasse. Entre eux était affalé le Valet-Lapin, profondément endormi, que les deux autres utilisaient comme coussin en discutant par-dessus sa tête. Cal avait jeté un coup œil à Louve. Les canines de celle-ci déchiraient déjà une cuisse de veau devant le regard apeuré et l'air nauséeux des moutons-infirmiers.

Alice au Pays de l'AilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant