Lettre IV

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Depuis que tu es parti, les interactions sociales me demandent de plus en plus d'énergie. Je me sens très facilement mal à l'aise au contact des autres. En fait, j'ai l'impression d'être une bête de foire que tout le monde regarde d'un mauvais œil. Même répondre à un bonjour peut suffire à me déstabiliser. Je sais que ça ne me ressemble pas et que ce n'est pas moi mais c'est juste vrai. 

Tu sais, j'ai vraiment dû prendre sur moi pour aller voir cette dame l'autre jour. J'ai hésité plusieurs jours et je ne comprends toujours pas pourquoi j'ai fini par accepter. Peut-être que j'en avais besoin et que mon inconscient m'a poussé à sauter le pas. En tout cas, je crois que tu l'aurais bien aimée. Elle est chaleureuse. Elle me fait beaucoup penser à tante Susette. Elle a une voix très rassurante, presque enveloppante. Elle a cette manière de parler qui donne l'impression que je suis en sécurité avec elle. 

Tu vas me prendre pour une folle mais il m'est arrivé un truc de dingue. J'ai enfin réussi à aller faire les courses. Je n'aurais jamais pensé que ça puisse me rendre aussi fière. J'ai presque l'impression d'avoir terminé une mission. Tu sais, ce moment où tu repars avec l'enveloppe et que tu as l'impression d'être le roi du monde. Je crois que ça m'avait manqué. 

Sinon, ces derniers jours, j'ai beaucoup réfléchi et j'ai réalisé quelque chose. Je crois que la dépression me transforme en une version de moi qui n'est pas moi. C'est comme si j'étais devenue insensible au monde, comme si ce qui se passait autour de moi n'avait plus d'intérêt. Avant, j'adorais voir du monde, rencontrer de nouvelles personnes, sortir. Maintenant, quand je me retrouve seule avec des personnes, je me sens gênée. Je me force à faire semblant d'être normale devant les autres mais ça m'épuise. 

Plus le temps passe et plus j'ai envie d'être seule. J'ai juste envie de m'enfermer dans mon cocon et de continuer à souffrir. Je ne sais pas comment l'expliquer mais c'est comme si j'avais envie que ça empire. J'ai presque besoin que tout parte en vrille et que ça se termine mal.

Tu ne réalises pas à quel point ça me fait bizarre de devenir cette personne qui va mal, cette personne qui inquiète. Le plus étrange pour moi, c'est de voir toutes les personnes autour de moi changer. En fait, ils ne changent pas vraiment, mais c'est leur comportement avec moi qui change. C'est comme si ils faisaient tout pour que je sourie, que rigole et que je passe un bon moment avec eux. Le problème, c'est que je sens que ce n'est pas naturel et ça me ferme complètement. J'ai juste envie de leur dire d'être eux-mêmes, d'être exactement comme ils étaient avec moi avant. J'en ai marre d'avoir cette espèce d'étiquette de la pauvre fille qu'il faut aider. 

Je ne sais pas pourquoi j'embête avec ça, je suis désolée. Je t'embrasse fort. 


NadiaWhere stories live. Discover now