Chapitre 1

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Talia, du haut de six ans était couchée sur le ventre, le buste légèrement relevé, les bras posés sur ses coudes qui maintenaient son joli visage attentif. Elle écoutait sa mère lui conter une histoire, comme chaque soir avant de dormir. Le vent soufflait dehors et il pleuvait beaucoup en ce dernier mois d'hiver. Les volets en bois claquaient par moment, mais Talia aimait la tempête, elle l'avait toujours trouvé apaisante. Et le feu qui crépitait dans l'âtre lui donnait un sentiment de sécurité, même si la bicoque dans laquelle elles vivaient risquait de perdre son toit à tout moment.

— Tu m'écoutes Talia ? prononça doucement sa mère, un sourire bienveillant aux lèvres.

— Oui maman. Tu allais raconter comment le prince Valaiel avait rencontré la princesse Allirr.

— Oui, le prince Valaiel était le plus vaillant des guerriers elfes du Royaume du Nord. Mais il était respecté surtout pour sa bonté. Il ne tuait jamais à la légère et respectait chaque peuple. Il était très beau, avec ses longs cheveux dorés et ses yeux bleus clairs ressemblaient à l'horizon du matin, mais il ne tombait pas amoureux.

Talia sourit.

— Aucune elfe grise du Royaume ou des Royaumes du Sud, de l'Est ou de l'Ouest ne convenait à son cœur. Après la bataille qui se déroula sur le fleuve Nenern, contre les Elfes de l'eau et des forêts, des prisonniers furent emmenés au Royaume du Nord.

— C'est là qu'il croisa le regard de la princesse Allirr, elfe des forêts, continua Talia captivée.

— Oui, et juste d'un seul et unique regard, il tomba amoureux d'elle, de ses yeux verts émeraude étincelants et de sa longue chevelure ébène.

— Comme moi, se redressa Talia en sautillant sur sa couche. J'ai les yeux verts et les cheveux noirs, je suis la princesse Allirr, elfe du Royaume des forêts. Où est mon arc et mon carquois ! s'esclaffa-t-elle. Nous devons chasser les intrus de notre forêt d'émeraude.

— Recouche-toi, petite elfe, nous ne sommes plus au temps des guerres.

— Maman, est-ce que les elfes ont vraiment existé ?

— Les légendes viennent toujours de quelque part... Peut-être un jour auras-tu la réponse à cette question ma chérie, sourit sa mère en lui caressant la joue.

— Moi je crois qu'ils ont existés. Mais ils se cachent des humains parce qu'ils sont différents et que les hommes n'aiment pas ce qui est différent, comme moi. Peut-être ont-ils chassé les elfes comme ils nous ont chassés de notre village ?

La mère de la petite fille la couva d'un regard triste.

— Tu n'es pas différente Talia, tu es unique, comme chaque être vivant l'est. Les habitants de notre village n'ont juste pas compris qui tu étais, et ont peur de ce qu'ils ne connaissent pas, cela arrive parfois. Il ne faut pas leur en vouloir.

— Mais je ne voulais pas leur faire de mal !

— Je sais Talia. Quand tu seras plus grande tu comprendras certainement mieux tout cela. Bien, fit Eleanor en fermant le livre d'un coup sec, il est temps de dormir maintenant ! Demain nous avons une longue route à faire.

— Attends, raconte-moi d'abord le mariage du prince Valaiel et de la princesse Allirr.

— Tu connais cette histoire par cœur, une autre fois.

— Ou le couronnement du prince Valaiel ? C'est mon moment préféré lorsqu'il devient Roi et que sa couronne se forme d'elle-même avec les branches de l'arbre éternel, guidée par les âmes des elfes morts au combat.

Eleanor sourit tendrement devant la mine enjouée de sa fille, mais l'invita à se coucher et la borda.

— Avant de fermer tes paupières, ma petite elfe des bois, dans quel endroit tu as envie d'être protégé ce soir ?

— Des arbres !

— Non on a déjà fait les arbres hier ma puce !

— Mais c'est ce que je préfère maman... minauda-t-elle avec la moue la plus mignonne qu'elle pouvait arborer.

— Bon, capitula Eleanor avec un sourire doux, d'accord pour les arbres.

— Je veux ériger de grands chênes, puissants, au tronc large et impossible à déraciner, même part le vent le plus fort du monde.

— Alors imagine toi debout au milieu de la forêt et regarde le sol. Est-ce que tu vois toutes ces petites pousses sortir de terre tout autour de toi ?

— Oui maman. Il y en a plein, elles forment un cercle autour de moi.

— Imagine-les. Ils font parties de toi, fait les pousser encore et encore. Ils prennent de la hauteur et maintenant ils sont bien plus grands que toi. Leur tronc est fin pour l'instant, ils sont jeunes. Mais observe les bien, regarde comme petit à petit leur tronc s'épaissit.

— Ils deviennent énormes. Ils sont si gros maintenant que je ne peux plus passer une main entre.

— Ils grossissent encore et encore, plus rien ne peut passer entre eux à présent et leurs branches et feuillages épais se courbent au-dessus de ta tête. Maintenant tu es protégée des attaques.

— Je peux dormir tranquille maintenant ! s'esclaffa la petite déterminée.

— Non pas encore Talia. Qu'est-ce qui peut être plus fort que ces arbres ?

— Rien, le vent ne peut rien faire contre eux et l'eau ne sera pas assez puissante.

— Mais il reste quelque chose qui peut détruire ces arbres protecteurs, réfléchis ! prononça calmement Eleanor en cajolant sa fille avec beaucoup de tendresse.

— Ah j'ai trouvé ! Le feu. Le feu peut bruler mes arbres.

— Oui, alors comment peux-tu protéger tes arbres pour qu'ils continuent de veiller sur toi ?

— Je vais ériger un mur de pierre !

— Érige ce mur, brique par brique, petit à petit et protège tes arbres. Est-ce que tu le vois ?

— Il est haut maman ! Les briques montent presque jusqu'au ciel, le feu ne pourra jamais atteindre mes arbres.

— Alors maintenant, ma petite elfe, tu peux dormir en paix, tu es protégée pour cette nuit.

Eleanor lui embrassa le front avec amour, dans un sourire bienveillant. Elle caressa affectueusement ses cheveux le temps qu'elle s'endorme profondément. Lorsque ce fut le cas, Eleanor s'assit devant le feu crépitant. Elle observa les flammes danser devant ses yeux et pleura. Faisait-elle le bon choix ? Rien n'était sûr mais il n'y avait pas d'autres solutions. Il ne fallait pas qu'il mette la main sur elle et elle savait que le sanctuaire était encore loin, beaucoup trop loin. Elle se retourna vers sa petite fille qu'elle aimait tant.

Pardonne-moi ma petite chérie, pardonne-moi... murmura-t-elle en laissant les larmes inonder son doux visage.

Elle finit par s'endormir elle aussi, recroquevillée sur le tapis devant le feu dont les flammes vacillantes allaient très bientôt s'éteindre. Mais elle se redressa soudain, lorsque la porte d'entrée fut enfoncée par un coup de bélier puissant. Ils étaient là. Elle attrapa son épée et planta sans difficulté la cuisse d'un des hommes qui s'approcha en premier. Elle s'apprêta à recommencer mais un autre la désarma avant qu'elle ne puisse atteindre sa cible.

— Allez chercher l'enfant ! hurla un homme.

— Non, par pitié, prenez moi mais laissez la, pleura Eleanor.

— Tu n'as pas grand-chose à nous offrir, alors qu'elle si ! cracha le chef au visage de la mère.

— Mamaaaaaan, cria Talia apeurée. Mamaaaaaan.

La Captive de Numenvain ~Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant