La Captive de Numenvain ~Tome 1

Chapitre 6

Le soir venu, Uliel vint retrouver le Roi dans sa demeure pour lui faire un rapport de ce qu'il avait découvert à propos de l'humaine.

— Hmm, fit Turuihel dubitatif. Cela n'explique toujours pas comment elle a pu s'introduire dans notre royaume.

Le Roi allait beaucoup mieux ce soir-là et faisait les cents pas dans la pièce principale, son corps drapé d'une toge bleu ciel et or en conversant avec Uliel.

— Il y a aussi une chose qui m'a intrigué ce matin. Elle m'a parlé de sa mère qui lui racontait des légendes elfiques lorsqu'elle était enfant et elle lui aurait appris cette phrase : « Quand la lune descend sur l'arbre éternel, celui-ci s'éclaire alors de mille cristaux scintillants représentant les âmes des défunts elfes morts au combat. »

Le Roi Turuihel stoppa ses pas.

— Qu'est-ce que cela signifie ? claqua-t-il en se retournant vers Uliel.

— Je ne sais pas votre altesse.

— Comment sa mère humaine pouvait-elle connaître l'existence de l'arbre éternel, des âmes des défunts...

— Vous pensez que sa famille avait un lien avec certains elfes ?

— Des ancêtres très lointain alors... Mais cela me parait peu probable, il y a autre chose !

— Elle n'a pas vraiment voulu expliquer pourquoi elle avait été chassé de son village avec sa mère mais peut-être qu'elles ont été prises à côtoyer des elfes ?

— Où est ce fameux village ?

— Alterheim, c'est de l'autre côté des montagnes d'Advara.

— Donc nous sommes le Royaume elfique le plus proche et toi comme moi savons qu'on ne côtoie plus les humains depuis fort longtemps !

— Peut-être des nomades, suggéra Uliel.

Le Roi se rapprocha de la fenêtre et contempla l'horizon qui s'offrait devant lui avec tout au fond, perdu dans la brume nocturne la chaine de montagne d'Advara.

— La véritable question est de savoir si elle est un danger pour nous ou non !

— Votre altesse, je ne pense pas qu'elle soit dangereuse, elle semble... fragile.

Le Roi ricana froidement.

— T'aurait-elle ensorcelé Uliel ?

— Bien sûr que non votre altesse, répondit-il légèrement embarrassé.

Uliel ne pouvait nier qu'il appréciait l'humaine, sans en déterminer la raison, mais il n'y avait rien de romantique dans les émotions qu'il éprouvait. C'était plutôt un sentiment de protection, comme lorsque l'on souhaite protéger des membres de sa famille. Il voyait en elle une petite sœur, oui c'était le terme approprié, une petite sœur qui avait besoin de la protection d'un grand frère. Pourtant Uliel n'avait pas d'épouse, il était libre d'aimer quelqu'un et la jeune femme était très jolie avec son visage doux et rond, ses yeux verts qui malgré un voile de tristesse laissaient transparaître une curiosité enfantine et de l'émerveillement.

Fenrir, le serviteur privé du Roi entra d'un pas rapide mettant court à leur discussion.

— Votre altesse, dit-il en s'inclinant devant Turuihel. Une missive du Sud !

Fenrir tendit un parchemin roulé et scellé de cire doré qui représentait le sceau du royaume de Hyaratri. Le Roi s'empara du document tout en le remerciant d'un signe de tête léger. Celui-ci rebroussa chemin directement.

— Votre fils ? demanda Uliel.

— Peut-être, répondit-il en le décachetant soigneusement.

Il parcourut le document en fronçant les sourcils ce qui inquiéta Uliel. Un long silence se fit avant que le Roi prenne la parole.

— De mauvaises nouvelles j'en ai bien peur, soupira le Roi.

Uliel ne dit mot, attentif.

— Le Roi Altonlis, du Royaume de Hyaratri lui-même nous informe qu'ils ont croisé plusieurs groupes d'elfes noirs dans la région du Sud !

— Des elfes noirs vous dites ? répéta Uliel plus que surpris. Nous n'en avons pas vu depuis des décennies.

— Je sais, mais nous savions également qu'ils n'avaient pas été tous exterminés. Iltur a du reconstituer ses armées dans l'ombre pendant toutes cette période de paix.

— Devons-nous nous inquiéter, votre altesse ?

— Le royaume du Sud est loin, mais il faut rester sur nos gardes et rester vigilant. Préviens Halfdan ! Je veux plus de patrouilles et que notre surveillance s'étende sur plus de territoires. Nous ne devons pas laisser le mal s'approcher de nouveau de Numenvain.

— Je vais faire le nécessaire votre altesse.

Uliel tourna les talons et sortit du château. Turuihel termina de lire la missive du Roi Altonlis. Il lui donnait également des nouvelles de son fils Calruil qui vivaient au royaume de Hyaratri depuis trop longtemps maintenant. Il excellait en tant que chef des armées du royaume du Sud et si Turuihel était fier de son fils, il déplorait malheureusement qu'il n'ait pas voulu de ce rôle ici, chez lui à Numenvain. Le Roi s'assit, déposa la lettre sur la table et se prit la tête entre les mains. 

Si Calruil avait fui Numenvain, c'était à cause de lui, il était devenu si froid même avec son fils depuis la mort de sa femme qu'il n'avait pas réussi à lui dire les mots qu'il avait besoin d'entendre pour le garder auprès de lui. Pourtant il l'aimait, son visage aux traits fins ressemblait tellement à Amarië, sa défunte épouse. Calruil accepterait-il de monter sur le trône de Numenvain s'il s'avérait que lui-même n'en soit plus capable ? Encore faudrait-il qu'il sache le mal qui le rongeait de l'intérieur depuis qu'Iltur lui avait planté une dague chargée de magie noire puissante dans le ventre lors de leur dernière rencontre. Seul quatre elfes étaient dans le secret. Il avait espéré réussir à combattre ce mal, mais il avait malheureusement échoué encore et encore.

Turuihel se releva et décida d'aller consulter l'oracle. Il n'avait pas été la voir depuis quelques temps et il avait besoin de ses conseils pour y voir plus clair. Il fit un détour au sous-sol pour se rendre aux geôles et s'assurer que tout allait bien. Il hésita un instant puis s'approcha de celle de la prisonnière humaine afin de vérifier qu'Uliel l'avait bien enfermée à nouveau. Le garde le salua en s'inclinant devant lui, mais le Roi lui fit signe de se relever immédiatement. L'étrangère était là, recroquevillée sur sa couche, elle semblait dormir. Il s'approcha plus près et l'observa un long moment, le visage impassible, les mains resserrées dans le dos. Son sommeil était agité, elle marmonnait des paroles que Turuihel ne comprenait pas. 

Si tout en elle respirait l'humanité, il pouvait sentir le pouvoir de cette jeune femme tenter de se déployer et venir cogner contre le sien, mais impossible de distinguer sa véritable nature avec précision. Son sang humain et quelque chose d'autre l'empêchait de ressentir l'origine de son aura. Il fronça les sourcils puis fit demi-tour sentant l'énervement l'envahir et entreprit de se rendre comme il l'avait prévu à la demeure d'Airelenna, une elfe des temps anciens, oracle du Royaume.

Il sortit du palais et traversa le village si calme à cette heure. Il contempla un instant les lumières accrochées au bout des branches d'arbres et s'émerveillait toujours autant de la beauté du monde elfique ainsi que de sa magie même après autant de millénaires d'existence.