Chapitre 10

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Je me réveillai le lendemain, seule dans le lit. Black se tenait contre la fenêtre, pensif. Je me rapprochai de lui pour l'enlacer et découvris du monde rassemblé devant la maison. Je distinguai quelques visages familiers, bien que de nombreux autres avaient disparu. Je proposai de descendre un par un pour éviter des questions indiscrètes. La main de Black retint mon bras et ses lèvres se posèrent sur les miennes.

Je répondis timidement à son baiser, car je ne réalisais toujours pas qu'une relation naissait entre nous deux. Il m'enlaça, puis nous quittâmes la chambre après l'avoir débarrassé de nos affaires. Des applaudissements nous accueillirent et nous nous rejoignîmes le proviseur de l'Université qui se tenait devant une grande carrière, entouré du Roi et de l'équipe pédagogique, rassemblés sur une estrade spécialement aménagée pour l'occasion.

— Bonjour à tous et à toutes ! Chaque nouveau binôme a subi une épreuve différente selon le déroulé de la première et vous voilà réunis ici aujourd'hui ! nous annonça-t-il, les dents serrées et le regard fuyant, cherchant la validation de son maître.

— Je vous en prie... Par pitié, arrêtez cette compétition ! Vous tuez nos enfants et vous nous mentez sans ressentir aucune honte ! Mon pauvre mari, une Créature Magique fière de son état et qui ne s'en cachait pas, a mystérieusement disparu peu après La Grande Bataille ! Comment l'expliquez-vous ? En raison de notre couple, je suis illégitime à parler d'une descendance que je ne porterai jamais, mais mon neveu est mort tragiquement à cause de cette stupidité. Je sais que l'Élue m'entend quelque part ici et qu'elle nous sauvera tous ! cria une femme dans le public.

Le Roi fit un signe de tête à un groupe de gardes qui l'entourèrent rapidement et la soulevèrent du sol, ignorant ses plaintes et protestations. Ils l'emmenèrent loin de la foule et son corps convulsa peu après que l'un d'entre eux lui murmura quelque chose dans l'oreille. Gregor, peu affecté par cet événement, reprit le microphone au directeur.

— Je suis sincèrement désolé, mes enfants, pour le dérangement que vous venez de subir. Cette pauvre femme est visiblement folle et nous ne pouvons que prier pour son rétablissement ou au moins son âme. Mais trêve de bavardages ! Vous allez débourrer des chevaux sauvages que vous connaissez déjà pour certains, puisqu'il s'agit des vôtres, auxquels nous avons lavé le cerveau. Pour valider cette épreuve, vous devrez les ramener à leur état domestique. Conclut-il en souriant machiavéliquement.

La journée passa lentement, sous la chaleur étouffante du désert. Black, grâce à son travail étudiant, gagna une jument et son poulain. Des gardes installèrent un long couloir en bois entre la carrière et le hangar d'où venaient les montures. Un hennissement furieux retentit et mon cheval le traversa à toute allure.

Il s'arrêta dans une stalle et bougea ses oreilles dans tous les sens, cherchant une explication rationnelle à la situation dans laquelle il se trouvait. Nos regards s'accrochèrent l'un à l'autre pendant quelques instants, jusqu'à ce que le Roi nous interrompe.

— La dernière candidate à passer cette épreuve est Leith Gizli Adega sur Shadow. Quand je l'ordonnerai, la porte amenant son cheval à la carrière s'ouvrira et elle devra essayer de le reconquérir. Si elle réussit, elle pourra le reprendre, au même titre que ses camarades. Sinon, elle devra répondre aux questions des gardes responsables de la frontière qui sépare Elléa du Pays Oublié.

Je m'attendais à l'éventualité qu'on m'ait vu quand j'avais traversé La Grande Barrière de Ronces ou qu'avec les deux premières épreuves, des doutes sur mon identité commencent à apparaître. Mais je ne pensais pas que le Roi me laisserait une chance. Son attitude me paraissait suspecte, bien qu'il demeure imbu de lui-même.

Je me dirigeai vers la carrière quand quelqu'un me siffla et me lança une rose avec un clin d'œil. Je rougis furieusement et lui le donna à Black, mort de rire avant de lui jeter un regard noir. Je repris mon avancée vers Shadow, grimpa par-dessus la stalle et monta sur mon cheval, le surprenant après tant d'attente. Je m'installai sur lui et sentis tout son corps se raidir en raison de l'appréhension qui l'habitait. Néanmoins, une partie de lui semblait me reconnaître.

Ses oreilles bougeaient dans tous les sens, signe qu'il réfléchissait et essayait de se rappeler. Quelque chose l'empêchait d'accéder à sa mémoire, ce qui ajouté à la foule le stressait énormément. Toute cette pression dans sa tête lui faisait terriblement mal et il la baissa par réflexe. Soucieuse, je me penchai en avant pour l'apaiser, mais mes jambes lui caressèrent les flancs. La porte qui donnait sur la carrière s'ouvrit avec un bruit horrible et strident, couvrant les moqueries du Roi, fier de sa plaisanterie.

Je me redressai en même temps que mon cheval, et il fondit au galop. Je séparai rapidement mon esprit de mon corps tout en résistant à ses ruades et pénétrai le sien. Un cadenas magique enfermait sa mémoire, comme celui que j'avais observé chez Black. Je me sentais oppressée par l'énergie autour de moi qui essayait de forcer un passage là où je tentais également d'entrer. Je ressortis de sa tête, au bord du malaise, et m'aperçus que je tanguais.

Je me remis droite et l'apostrophais désespérément, comme lorsque je me faisais mal quand j'étais enfant et que je l'appelais à l'aide. J'éprouvais de plus en plus de difficultés à rester sur lui. Mes muscles étaient crispés et je sentais les crampes arriver. Je tentai le tout pour le tout et lui envoyai par pensée une vague de souvenirs de nous deux. Il s'arrêta d'un coup, perplexe, et le cadenas en lui commençait à céder. Je m'allongeai sur son encolure, épuisée, et chuchotai « Ex Memoris », libérant la porte de sa mémoire.

Le lavage de cerveau s'estompa. Shadow observa la foule et me regarda du coin de l'œil. Je lui souris et me penchai en avant pour le câliner. Il hennit doucement en essayant d'avancer son nez, comme pour me dire bonjour. Le temps semblait arrêté et seul notre lien fusionnel subsistait. Un raclement de gorge nous ramena à la réalité. Le public était étonné de notre prestation. Une tension s'était installée et je me sentais observée.

Le roi avait les yeux rivés sur nous et des gardes se rapprochaient de la carrière. Shadow coucha les oreilles, méfiant, et je repris les rênes dans le même état d'esprit. Ils sortirent des arbalètes de leurs dos et les pointèrent vers nous, épiant leur supérieur afin de connaître ses directives. Ce dernier nous regardait avec un grand sourire moqueur.

— Comme tu peux le constater, Léna Angel Skye, tu ne peux pas toujours gagner dans la vie. Tu pensais sûrement y arriver avec tes pouvoirs et j'avoue avoir été réellement impressionné, mais j'avais prévu le coup.

— Que voulez-vous dire par là ?

— Tu es l'Élue. Tu crois que je ne t'avais pas reconnue ? Tu as la personnalité de ton père et la beauté de ta mère. À chaque fois que je te vois, tu me rappelles tes parents. Mais maintenant, c'est terminé ! Séraphine est miraculeusement en train de revenir vers moi. Elle aussi m'a envoyé des messages, tu sais ? Elle m'a promis dans chacune de ses lettres que si je te gardais auprès de moi, on serait une famille normale et...

— Vous vous rendez compte que ce que vous dites est impossible ? Ma mère est morte en me donnant naissance ! Et même si elle était encore en vie, vous croyez réellement qu'elle aimerait reformer une famille avec vous après tout ce que vous lui avez fait subir ?

— Excusez-moi, mais... de qui discutez-vous ? demanda Connor, interloqué.

— Vous ne lui avez jamais parlé de sa génitrice ? Vous êtes plus ignoble que je ne l'imaginais avec ce que l'on m'avait raconté.

— Tais-toi ! m'ordonna le Roi. Gardes, arrêtez-la ! Je la veux vivante !

Quelques-uns enjambèrent la barrière et se rapprochèrent de nous. Mon cheval se cabra pour faire peur à nos assaillants, sous le regard hilare de leur commandant. Shadow tourna sur lui-même et trouva une brèche entre nos ennemis. Shadow s'arrêta dos à eux, mais face au Roi, amusé par la situation qui semblait jouer en sa faveur.

— Je dois admettre que vous avez raison, messire.

— Je le sais, mon enfant, mais pourquoi ce changement soudain d'avis ?

— Et bien... Comme vous le dites si bien... On ne peut pas toujours gagner dans la vie.

J'adressai un grand sourire au Roi, perplexe, et Shadow fit demi-tour. Il attaqua un garde qui s'apprêtait à refermer la brèche et celui-ci chuta en arrière, l'ouvrant encore plus. Shadow s'élança entre nos ennemis, puis sauta par-dessus la clôture qui se dressa rapidement devant nous. J'entendais les cris d'effroi du public : personne ne s'était jamais rebellé contre le Roi, et surtout de la sorte. Nous rejoignîmes La Barrière de Ronces peu avant la tombée de la nuit pour retourner au Pays Oublié.

The Chosen One(s)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant