1. ELLE

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Le mois de septembre touche enfin à sa fin. Demain débute la saison du frisson, entraînant sur son passage un vent épicé à la cannelle, à la muscade, au gingembre et aux clous de girofle. Ma période préférée de l'année. Un parfum d'interdit où l'obscurité côtoie la chaleur décroissante de l'été indien.

Encore aujourd'hui, le thermomètre affichait vingt degrés. Les températures sont exceptionnelles, hors des normales selon les météorologues. Les feuilles des arbres commencent seulement à virer à l'orange, et personne ne se rue dans les magasins sur la collection hiver. Les pulls en laine sont rangés au placard, les parapluies délaissés dans un coin de l'entrée, pour des solaires et des vêtements plus légers et colorés.

Cette météo fait mon pain, si je puis dire. La terrasse du Shining ne désemplit pas, c'est la folie du matin au soir. Je n'arrête pas de courir entre les tables, comptant sur l'aide des étudiants jobistes. Sans eux, je croulerais sûrement sous les commandes.

Néanmoins, je ne me plains pas. Cette effervescence me comble de bonheur - bien qu'un client ait eu le cran de m'apostropher plus tôt dans la journée parce que, je cite, « Il y a trop de monde, ici. On ne peut pas boire son expresso en paix. » Comme si j'avais le pouvoir de contrôler les décibels...

L'endroit où se situe le café est propice au bruit, je ne peux rien y changer. La galerie de style néo-classique est classée au patrimoine pour son magnifique plafond de verre, mais celui-ci amplifie considérablement les sons. Au XIXe siècle, on ne pensait pas à l'isolation sonore, on se contentait de concevoir des bijoux de l'architecture, je suppose.

Bref, à l'inverse de mes voisins commerçants, j'ai beaucoup de chance d'avoir hérité du local dont personne ne voulait. Certes, le loyer me coûte un bras. En revanche, le Shining bénéficie d'une meilleure visibilité en se trouvant aux croisements de plusieurs rues qu'à l'intérieur de la galerie. En plus, ce n'est pas pour me vanter, mais j'ai la meilleure vue qui soit sur le canal.

Les jours de pluie, quand les éléments se déchaînent à l'extérieur, le paysage se convertit en un tableau dramatique. La Sambre s'assombrit, et l'intérieur de mon café se révèle être un havre de paix pour les badauds qui s'y abritent. Même moi, après plus de cinq ans, je ne me lasse pas d'observer le courant abreuvé par les averses torrentielles. La noirceur des flots m'a toujours fascinée. La puissance qui en émane. Le feu brûle, mais l'eau s'avère autant meurtrière. Elle dévaste tout sur son passage, noyant plus que des habitations lors d'inondations.

— Encore en train de rêvasser, Sy'belle... me surprend une voix.

Je reporte mon attention sur Finn, retenant difficilement mon sourire en coin. Il n'y a que lui qui m'appelle ainsi. Sy'belle. Un surnom auquel je me suis habituée, même si je n'étais pas fan au départ du compliment à peine voilé.

— À quoi tu pensais ? me demande-t-il, sa tasse vide à la main, en me rejoignant de l'autre côté du comptoir.

Il joint sa question d'une caresse dans mes cheveux. Son index s'enroule autour de l'une de mes boucles récalcitrantes, avant de la coincer derrière mon oreille. Une attention pleine d'intérêts qui me fait passer par toutes les couleurs.

J'évite son regard en rangeant les couverts désormais propres, mais il me contourne pour se poster devant le lave-vaisselle.

— Allez, dis-moi ce qui te trottait en tête avant que je ne te fasse sursauter.

— Rien de bien intéressant, éludé-je avec un haussement d'épaules.

Il arque un sourcil et se décale sur le côté pour que je récupère les assiettes, sans pour autant abandonner l'affaire. Finn est du genre tenace, je devrais le savoir à la longue.

Le Diable au cœur (DARK ROMANCE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant