9. ELLE

350 25 9
                                    

Ce soir, c'est repos. On a décidé de faire l'impasse sur une soirée en ville. Enfin : j'ai bataillé pour imposer mon choix car Finn se sentait d'attaque à sortir jusqu'au petit matin.

Et je ne suis pas d'humeur à faire la fête ; surtout lorsque Noé paraît au bout du rouleau car il s'inquiète pour son joueur. Il a échangé par messages avec Samuel en fin de journée et lui a certifié sa présence aux obsèques de sa mère. Aucune date n'est encore fixée pour l'enterrement, étant donné l'ouverture d'un dossier pour homicide volontaire.

Les autorités ont reçu l'appel de riverains, jeudi soir. Ces derniers ont découvert au retour de la promenade avec leur chien le corps, sans vie, de leur voisine qui a été poignardée dans l'allée de son garage une dizaine de fois. Treize, pour être exacte. Le médecin légiste a confirmé la cause du décès par arme blanche, reste à déterminer si les enquêteurs trouveront des indices ou un ADN sur la scène de crime.

Finn et Maël ne sont d'ailleurs pas au courant de l'affaire car Noé et moi n'en avons pas reparlé devant eux. Ils croient sûrement que l'apparence négligée de notre ami est le résultat d'une garde épuisante, qu'il n'a pas pris le temps de se raser et de dormir ce matin. En même temps, le travail de Noé à l'hôpital n'est pas de tout repos, en particulier quand il gère les urgences. Nous avons parfois droit à quelques anecdotes pour notre plus grand plaisir.

Mais rien de croustillant n'est au programme pour ce soir, excepté les croûtes des pizzas que nous avons commandées pour notre plateau-télé.

— Minute, petite maline ! m'interpelle Maël à ma suite.

Je l'attends au pied des escaliers, dans le hall de mon immeuble, alors qu'il dévale les dernières marches.

— T'étais pas obligé de descendre. Le livreur devrait être là d'ici cinq-dix minutes.

— Et te laisser te geler les miches, seule, dans l'obscurité ?

Ses mains me présentent mon écharpe en laine qu'il a emportée. Prévenant, il l'arrange autour de mon cou.

— Je ne peux mal.

— Ah bon ?

— Les bandits, ça me connaît. J'en côtoie trois au quotidien.

— Et ils sont coupables de quoi, ces bandits ?

— Ils ont volé mon cœur et squattent mon appart en plus de me harceler au quotidien sur mon lieu de travail.

— La chance qu'ils ont, me rétorque-t-il avec un sourire taquin.

Il dégage ma tresse qui s'est enchevêtrée dans l'encolure de mon vêtement. Ses doigts s'attardent plus que de raison sur la pointe de mes cheveux qu'il triture avec fascination. Obnubilé par une pensée qu'il ne me confie pas, il se perd dans la contemplation d'un point invisible, situé à hauteur de ma bouche.

Je retiens ma respiration en lui retournant son regard. Son arc de cupidon prononcé est un appel au péché. Je me demande si sa lèvre supérieure est aussi douce que je l'imagine, si son chaume de barbe pique...

Si sa langue communique la même ferveur que ses yeux qui me sondent.

— Au moins, grâce à moi, tu ne tomberas pas malade.

— Oui, papa.

Il s'écarte vivement de moi.

— Par pitié, ne recommence plus jamais ça ! s'écrie-t-il alors que ses joues s'embrasent. Ne m'appelle pas ainsi.

Hilare, j'explose de rire devant son dégoût évident. Il me tient la porte. Je lui emboîte le pas.

Les réverbères éclairent faiblement le parc séparant mon immeuble de la rue. Nous sortons dans la pénombre qu'ébrèche Maël à l'aide de son briquet. Il allume la cigarette qu'il a calée à la commissure de ses lèvres. C'est plus fort que moi, je le juge du regard. Je ne désapprouve pas son addiction qu'il alimente depuis ses quinze ans. Il fume près d'un paquet par jour. S'il poursuit sur cette voie, ses poumons ressembleront d'ici vingt ans à l'asphalte dont on macadamise nos routes.

Le Diable au cœur (DARK ROMANCE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant