4. LUI

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Chère Sybille,

Quelle épreuve nous fais-tu endurer ? Combien de temps durera notre séparation ? Comptes-tu m'assassiner à petits feux ?

Même en te sachant au centre de mon attention, tu ne cesses de te jouer de moi. Quel objectif vises-tu ? Veux-tu causer ma perte ? Me rendre fou au point que je commette l'impardonnable ?

Parce que je ne peux réfréner mes envies de meurtre quand je t'admire apaiser ta fièvre entre les mains d'un autre. Je vois rouge quand une autre bouche que la mienne dévore tes gémissements, se rassasie de ta peau. Je ne supporte plus qu'un autre homme s'accapare une place qui me revient.

J'étais là aux premières loges, vendredi passé. J'assistais à tes retrouvailles avec l'un de tes amants de passage. Ce blondinet qui ne mesure pas sa chance. Il n'estime pas ta valeur. Il te fait jouir sans amour, quelle tristesse.

Et surtout quelle rage.

J'avais devant moi une vision d'horreur, mais aussi une scène fascinante.

Tu te trouvais derrière le comptoir de ton café. Magnifiquement belle. Ton regard brillait d'une lueur qui hurlait « Montre-moi à quel point tu me désires », et lui, ce salaud, te tournait autour comme un vautour avide de chair putride. Il te chantait je ne sais quoi, il empiétait sur ton espace, il colonisait ton corps au moyen de platitudes.

Quand je pense à la façon dont il était obnubilé par ta bouche, dont son pouce s'est pressé sur ta lèvre inférieure, dont la pulpe a frotté le rouge, le sang m'aveugle. Ma rétine se noie d'hémoglobine. Le goût du fer inonde mes papilles.

Toi, divine comme tu es, tu avais faim de son attention. Tu voulais qu'il soit à tes pieds, qu'il ploie le genou, qu'il te jure fidélité et vénération. Alors, avec une ferveur manipulatrice, tu l'as pris dans ta bouche. Tu as sucé son doigt comme on pompe un sexe pour en extraire le jus, comme on assouvit un homme pour qu'il implore la pitié.

S'il croit un instant être à la barre de votre arrangement, il se berce d'illusions. Tu es l'esprit le plus malin que je connaisse, le plus libre. Tu es si intelligente qu'à l'époque, tu aurais fait de l'ombre à Machiavel. Tu incarnes l'expression « une main de fer dans un gant de velours » à ta manière, tu es plutôt « œil de biche, doux sourire, lame dans le cœur ». Quand un élément contrarie tes plans, tu t'en débarrasses. Tu le rayes de ce monde comme on extermine un être nuisible.

Mon addiction. Ma raison de tuer. Mon ombre.

Je t'ai regardée lui tourner le dos, voilant tes intentions d'une fausse timidité. Tu l'as enrôlé dans ton manège. Tu l'as d'abord repoussé. Un non pour un oui, un oui pour un non, alors qu'il ne demandait pas ton consentement. Il ne quémandait pas une autorisation, et tu ne lui as donné aucune réponse. Tu l'as juste embrumé de tes charmes afin qu'il croie qu'il maîtrisait la situation. Qu'il était l'initiateur de ton désir. Qu'il était le seul à pouvoir le combler.

Tu insuffles dans son esprit l'idée qu'il t'est essentiel. Tu l'en convaincs si bien qu'au final, c'est lui qui ne peut plus se priver de toi.

Il s'est laissé duper, une énième fois. Il t'a épinglée au comptoir, a soulevé le bas de ta robe, a immiscé ses doigts sous la doublure de ton vêtement, pendant que tu fermais les paupières. Tu soupirais avec une expression triomphante sur la figure. Tu l'as abreuvé d'un rappel alors qu'il se shootait au sel de ta peau. Il est le camé sans vie.

Toi, la drogue de mon existence.

Et moi, impuissant, je vous épiais. Je l'enviais.

L'image de NOUS s'est imposée quand tu as atteint la petite mort, le corps arc-bouté, la tête renversée sur son épaule. Je nous ai encore imaginés tous les deux, dans le café...

À l'abri des regards parce que je te préviens : moi, je ne partage pas. Jamais je n'offrirai un aperçu de ta nudité, ne dévoilerai ton intimité, ni n'accorderai au commun des mortels le privilège de se soûler de ta jouissance. Je te garderai rien que pour moi, car je suis terriblement égoïste.

Volets fermés. Clair-obscur assuré par les bougies. Odeur de café torréfié. Parfum à la vanille. Ton goût sur ma langue. Tes hanches entre mes paumes. Tes cuisses ceignant ma tête. Toi tremblante, et moi à genoux.

Ce jour-là, la jalousie m'a empêché de jouir – bien que la simple vue de toi gémissante puisse me faire éjaculer d'ordinaire.

En revanche, ça n'a pas été le cas le lendemain quand je vous ai suivis jusque dans les toilettes de ce bar. Vous vous êtes enfermés dans une cabine, ivres et complètement inconscients.

Mon couteau suisse pesait lourd dans la poche de mon pantalon, contre ma jambe. Je me retenais de l'empoigner pour trancher la gorge de ton ami. Je voulais tant le saigner alors que des sons étouffés de vous deux me parvenaient. J'ai alors commencé à me branler afin de modérer mes pulsions, mais ça n'a pas fonctionné. C'était pire.

Plus la paroi de la cabine vibrait sous vos ébats, plus la tension devenait insoutenable. Sous mes paupières se jouait une scène macabre.

Le tranchant de mon arme a dessiné une ligne délicate dans le cou de Finn. Du sang perlait de l'incision. Puis il nous a éclaboussés, nous atteignant au visage, alors que ma bouche susurrait des soupirs amoureux contre la tienne. J'avais envie d'éjaculer en toi, mais je réfrénais tant bien que mal cette urgence. Mon impatience se traduisait dans les baisers, que je te volais, entrecoupés de nos coups de dents. Nous étions comme deux affamés.

Sauf que toi comme moi savons que notre faim se manifeste autrement que la normale, ça dépasse la simple douleur qui peut être apaisée par la satiété. Notre besoin vital ne peut être satisfait dans l'absolu. Le désir qui nous consume est sans fin. Jamais nous nous lasserons l'un de l'autre. 

Jamais je n'en aimerai une autre que toi.

Tu avais beau être avec Finn dans les toilettes du bar, mais dans mon esprit, tu étais contre moi. Rien qu'à moi. Tes doigts se sont resserrés autour de mon érection. Je durcissais. Mon sexe enflait au creux de ta paume dans l'attente de la délivrance, à l'inverse de ton ami qui se vidait de son essence. Te voir dépourvue de pitié, entièrement concentrée sur mon plaisir, me rendait dingue. J'étais au bord du précipice. Il a suffi que ton pouce effleure de son ongle mon gland pour que je jouisse. Je me suis répandu en jets sur ta jupe, dont j'ai maculé le similicuir comme lorsqu'on marque de son empreinte sa propriété.

Toi avec mon sperme sur le bas-ventre et les cuisses, ce fantasme m'a hanté toute la nuit. Il me tarde de le réaliser.

Pour l'instant, je me contente de t'écrire et de t'offrir ce vase en forme de cœur, puisque je ne peux m'arracher le mien de la poitrine et te le donner en guise de ma fidélité.

Notre rencontre ne saurait tarder. Je me réjouis à l'idée de t'enlacer et de te respirer, sans être certain de te rendre ta liberté une fois qu'on se sera abandonnés à notre désir mutuel. Si c'était possible, je nous confinerais pour l'éternité dans ton appartement.

P.S. : ton chat s'avère un très mauvais gardien, en plus d'être facilement corruptible. Après une caresse bien placée, il m'a invité dans ta chambre. Ton oreiller sent divinement bon. Café et vanille, mon parfum préféré.

X

***

Avec un peu de retard (méchante grippe et entretiens pro obligent), voici enfin la suite ! Le chapitre suivant du pdv de Sybille est déjà écrit, et il comporte plusieurs petites choses. J'ai hâte de le publier, parce que j'ai particulièrement adoré l'écrire.😏🫣😈

À demain,

Justine

Le Diable au cœur (DARK ROMANCE)Where stories live. Discover now