10. LUI

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— Et voilà un ristretto avec une mousse au chocolat !

Je lève les yeux du tas de feuilles devant moi et observe Sybille. Elle dépose ma tasse et mon dessert sur la table. Je la remercie dans un sourire qu'elle me retourne avant de rejoindre le comptoir.

Le vendredi en fin d'après-midi, les clients affluent au Shining. Quelques étudiants viennent s'y réfugier à l'abri du déluge qui se déverse sur le pays. De retour chez leurs parents, ils traînent derrière eux leur valise pleine de linges sales après une semaine en kot, tandis que certaines personnes relâchent la pression après une journée de travail et attendent avec impatience le début du week-end.

Je suis du regard Sybille. Elle jongle entre les commandes et la machine à café, puis peste en silence contre les parapluies. Ceux-ci encombrent l'entrée dans un amas de baleines distendues qu'elle replie. Elle les range correctement dans le cylindre en fer forgé au pied duquel se forment des flaques. L'eau, une fois évaporée, laissera des auréoles noires sur les tommettes qu'elle savonnera demain matin avant l'ouverture.

Heureusement, Sybille n'est pas seule pour assurer le service. Aujourd'hui, elle peut compter sur l'aide de ses employées. Anaïs et Marlène lui prêtent, en général, main forte les mercredis après-midis et les week-ends. Quand l'une débarrasse les tables avec un plateau et passe un coup de lavette, l'autre se charge de la caisse. Les tâches sont donc bien réparties et le travail, organisé. Cependant, Sybille se laisse toujours emporter par sa tendance à tout contrôler.

Sa queue de cheval se balance au rythme de ses pas alors qu'elle court dans tous les sens. Elle s'arrête un instant derrière le comptoir pour boire de l'eau. Je la regarde rejeter la tête en arrière, vider sa gourde tant elle a soif. De la sueur perle sur sa nuque que je rêve d'embrasser, et ses joues rouges me filent des pensées tout sauf innocentes.

Putain. Elle est si bandante dans son élément.

Mes doigts se crispent autour du bic que je tiens. Nos regards se rencontrent l'espace d'une minute. Je sens une décharge électrique me traverser. Mon cœur s'emballe alors que j'halète en fixant Sybille. Je passe en revue sa tenue. Son pantalon à pinces, prince-de-galles, qui dissimule le galbe de ses cuisses à cause de sa coupe ample. Son justaucorps dont le décolleté dévoile l'orée d'une poitrine criblée de taches de rousseur.

S'il n'y avait pas un chat dans le café, je baisserais le volet métallique et la prendrais là, au milieu des chaises, à la lueur des mini citrouilles qu'elle a accrochées plus tôt le long de la vitrine.

Je me fais violence pour ne pas obéir aux pulsions qui m'aveuglent. Le jeu que j'ai lancé m'excite plus que de raison. La partie ne fait que commencer, mais le plaisir de la chasse m'enivre. Je me retiens de fondre sur ma proie, de me convertir en un animal affamé, guidé par le besoin viscéral de goûter au sel de sa peau. De la mordre.

Je serre les mâchoires, fais craquer mes cervicales avant de porter à mes lèvres le café que Sybille m'a préparé. Serré comme j'aime. Parfait. Je plonge la petite cuillère, surmontée d'un chapeau de sorcière, dans la verrine et savoure le goût du chocolat qui fond sur ma langue et qui se mêle à l'arôme fort des grains du sud. Aphrodisiaque.

Sybille a presque obtenu tout ce qu'elle a toujours souhaité. Il ne lui manque qu'une chose pour qu'elle soit totalement heureuse...

La passion qui consume.

Celle qui, telle une maladie incurable, étourdit, rend fiévreux et suscite des frissons d'impatience. Celle qui promet un amour sans interdit. Celle qui flirte dangereusement avec souffrance car rien ne pourrait combler le trou béant que provoque son absence. C'est ce à quoi tout être aspire, à la complétude – on ne pâtit jamais de la solitude lorsqu'on a trouvé la personne qui nous fait sentir entier. On veut connaître le feu – les flammes ont beau tout calciner sur leur passage, elles nous ensorcellent de leurs ondulations chatoyantes, alors on les attise, on saute par-dessus. Et cet appétit sans limite, on veut aussi l'éprouver – lécher, déguster, se rassasier avec envie, encore et encore, car rien ne nous a semblé plus délicieux que cet autre qui partage notre quotidien.

Le Diable au cœur (DARK ROMANCE)Where stories live. Discover now