Chapitre 6 - Alix

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J'ai fulminé après Mervans une bonne partie du week-end. J'ai passé toute la journée de samedi à ruminer, à repasser notre altercation dans ma tête. J'ai refait le film de nos échanges au moins dix fois, essayant de lui trouver des circonstances atténuantes. Je me demande bien pourquoi d'ailleurs ! Mais ça n'a pas adouci ma colère, bien au contraire !

OK, il a été surpris par mon arrivée dans le team et ça l'a déstabilisé, mais il aurait quand même pu m'accorder une période d'essai avant de s'employer à dissuader Marcand de m'engager. À cause de ses a priori sur les femmes pilotes, il ne m'a laissé aucune chance, il a voulu me mettre des bâtons dans les roues dès l'instant où il a su qui j'étais. Et je ne parle même pas de son attitude de macho arrogant et dragueur !

Il m'a fallu une quinzaine de kilomètres à vélo, une séance de crossfit suivie d'une heure de yoga pour me détendre et remiser aux oubliettes son comportement. Dimanche, j'ai longuement réfléchi à la manière d'aborder les choses et j'en suis arrivée à la conclusion que les seules relations qui comptent vraiment sont celles que je vais entretenir avec Franck, les mécanos et mes deux copilotes : Perossi et Simmons. Et peu importe l'attitude de Mervans ! Il n'y a qu'un petit problème : Mack a l'air d'être très pote avec lui. Il est donc prévisible que mon animosité envers Monsieur Macho risque d'influencer mes relations avec mon copilote. Je garde en tête les paroles de la femme de Franck et je dois reconnaître qu'elle a raison : nous sommes une équipe et il vaut mieux travailler dans la bonne humeur plutôt que dans une ambiance de guerre des tranchées. En conséquence, j'ai décidé d'ignorer Mervans, dans la mesure du possible, et d'essayer de me faire respecter, à défaut de me faire apprécier, par Simmons.

Lorsque j'arrive le lundi matin au QG à Cuges, Marie et Franck me reçoivent chaleureusement dans l'espace de vie de la grande maison à deux étages où sont installés les bureaux du team. L'accueil de Glen et Thomas est mitigé. Je les sens sur la réserve. Avec eux, je suis clairement en période d'essai. Ils me laissent une chance, c'est déjà ça ! Antonio en revanche est plus exubérant :

— Et voilà la plus belle raggaza du team ! clame-t-il avant de me claquer la bise.

— C'est pas difficile, c'est la seule ! marmonne une voix dans mon dos.

Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir de qui il s'agit. Pleine de bonnes résolutions, je ne relève pas sa réflexion et me contente de l'ignorer après avoir salué le beau gosse blond qui l'accompagne :

— Salut Simmons.

— Granier.

Nous n'avons pas le temps de parler davantage, car Antonio met son bras gauche sur mon épaule et fait de même avec Simmons de l'autre côté.

— Hey, vous n'allez pas rester aussi formels, spero !

Nous échangeons un regard gêné puis Simmons esquisse une grimace avant de céder :

— Ton prénom, c'est bien Alix ?

— Tout à fait... Mack.

Bene, bene, je préfère ça ! approuve Antonio avec un large sourire. Maintenant qu'on a brisé la glace, allons voir notre bébé !

Sans me laisser le temps de protester, Antonio m'entraîne à sa suite. Nous sortons de la vaste maison par l'arrière et traversons la petite cour qui nous sépare d'un grand bâtiment aux allures d'entrepôt. Dès l'ouverture de la porte métallique, je replonge dans l'univers que j'aime tant. Le cliquetis des outils et le ronronnement des moteurs, l'odeur des pneumatiques et celle si particulière du mélange carburant, huile et graisse qui embaument l'atmosphère. Antonio me mène devant une moto à la ligne agressive et dont le carénage est orné du numéro 79.

— Voilà notre bébé !

Il s'agit d'un modèle très semblable à celui sur lequel j'ai fait mes essais, mais ce n'est pas la même. Celle-ci n'est pas un modèle d'usine lambda, elle comporte des modifications. Je commence à poser des questions aux mécaniciens qui se sont approchés. Mack et Antonio ne perdent rien de la discussion et ne peuvent cacher leur stupéfaction en m'écoutant débattre de certaines possibilités d'amélioration avec eux.

— Dis donc, tu t'y connais pour une nana ! s'étonne Mack.

— Il ne faut pas croire ce que certains sous-entendent, les femmes peuvent être aussi performantes que les hommes, je rétorque en souriant.

Je ne peux m'empêcher de lancer un regard en coin à Mervans qui rôde non loin de là et ajoute :

— Que ce soit en mécanique ou dans d'autres domaines.

— Comment ça se fait que tu aies des connaissances aussi pointues ? commente Matthias, l'un des mécaniciens.

Sa question me renvoie à une époque révolue. Les souvenirs s'invitent dans mon esprit, suivis de la nostalgie et des regrets. Je frissonne malgré moi à l'évocation de Magny-Cours avant d'avouer :

— Pendant deux ans, j'ai été mécano en Superbike.

— Sérieux ? s'exclame-t-il. Quel team ?

— Suzuki SWB Team.

— Tu travaillais pour qui ?

— Cortez.

— Tu as bossé avec l'équipe de Lucas Cortez ? intervient Hassan, le chef mécano.

Encore un dont les oreilles traînaient à proximité ! Trop émue pour parler, je me contente d'opiner de la tête.

— Pourquoi as-tu quitté le team Suzuki ? demande Thomas avec curiosité.

— Je suis partie en même temps que Lucas.

— Pourquoi ? Tu baisais avec lui ? lance Mervans.

Quel connard ! J'ai bien envie de lui rétorquer que l'inceste, c'est pas mon trip, histoire de lui river son clou, mais je me retiens in extremis. Il serait capable de prétendre ensuite que mon frère m'a fait pistonner ! Mieux vaut l'ignorer purement et simplement. Je lève les yeux au ciel pour bien montrer aux autres que je trouve sa provocation puérile et lui tourne carrément le dos pour m'adresser à Antonio et Mack :

— Alors les gars, quels réglages avez-vous demandés ?

Antonio se lance aussitôt dans un long descriptif et j'oublie Mervans pour me concentrer sur les explications de mes copilotes et de nos mécanos.

En fin de matinée, je quitte le garage pour rejoindre les bureaux où Marie m'a convoquée pour une séance d'essayage. J'ai apporté la combinaison que je mets habituellement quand je tourne sur circuit. Une intégrale noire bien ajustée. Elle me demande de l'enfiler puis de monter sur une table basse et commence à m'inspecter sous toutes les coutures, pour déterminer quel type de cuir et de coupe il me faudra. C'est le moment que choisissent mes copilotes pour débarquer dans la pièce, accompagnés de Mervans, Dickson et Durieux.

Un long sifflement me fait sursauter. Je me retourne et découvre Antonio, un large sourire aux lèvres :

Que bella!

— Arrête Antonio, tu vas faire rougir la petite ! le tance Marie en s'apercevant que les regards de tous ces mecs sur moi me mettent mal à l'aise.

— Il faut reconnaître que la combarde va mieux aux femmes qu'aux hommes ! approuve Mack avec un demi-sourire. 

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Ah... il semblerait qu'Alix suscite un peu d'intérêt chez les mecs de l'équipe finalement ! 

Track's attractionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant