Chapitre 14 - Alix

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Ma nuit n'a pas été reposante, loin de là !

Quand Franck a évoqué Magny-Cours, j'ai perdu pied. J'ai été incapable de suivre la fin de la réunion, tant j'étais dans le brouillard. Une seule idée tournait en boucle dans ma tête : j'allais devoir y retourner et rouler sur la piste qui a brisé mon frère. Les images terribles qui me hantent encore parfois sont revenues en force. Une crise d'angoisse a pointé le bout de son nez et j'ai dû lutter pour garder mes émotions sous contrôle. Heureusement, le briefing s'est terminé avant que je ne craque. Dès que les mécanos ont commencé à se lever, j'ai pris la fuite. J'ai quitté la pièce sans un regard en arrière et je me suis précipitée à l'extérieur du bâtiment pour pouvoir m'isoler et me calmer. J'ai réussi à donner le change le reste de l'après-midi en travaillant avec le chargé de com du team, mais cela n'a pas été sans mal.

Ma nuit a été peuplée de cauchemars. Ou plutôt de souvenirs. Je me suis réveillée à plusieurs reprises en hurlant, le cœur palpitant et le corps en sueur. Ce sont toujours les mêmes images : la Suzuki de Lucas tournoyant dans les airs, rebondissant sur la piste, son corps projeté au sol puis faisant des roulés-boulés sur l'asphalte et s'immobilisant dans le bac à sable avant que sa moto ne lui retombe dessus. Et brise ses rêves en même temps que son bassin. J'entends encore les hurlements de notre mère, les yeux rivés sur les écrans qui diffusaient la course. Nous avons assisté à l'accident en direct depuis le stand Suzuki. Je me souviens de notre attente angoissée à l'hôpital et du cri de désespoir de mon frère lorsque les médecins lui ont annoncé qu'il ne remarcherait plus jamais.

C'est les yeux cernés que je rejoins le team sur le circuit du Castellet. Pour une fois, Mervans et Simmons ne sont pas en retard. Je suis la dernière et je me fais chambrer en conséquence par mon ennemi personnel.

— On dirait que Miss Monde a eu une panne d'oreiller !

Mack me scrute en fronçant les sourcils avant de laisser tomber :

— T'as une sale tête, Granier.

— Merci du compliment, je grogne.

— Tu as la gueule de bois ou quoi ? ricane Gaël.

Je le fusille du regard avant de rétorquer :

— Pauvre naze !

Ma mine de déterrée n'a pas échappé à Antonio qui vient m'étreindre gentiment.

Que passa, tesoro?

— Juste une mauvaise nuit, Tonio. Pas de quoi s'inquiéter.

La bienveillance de mon copilote ne paraît pas du goût de Mervans. Le regard dur, il m'envoie une nouvelle pique :

— Tu as raison de flipper, Granier. Cette fois-ci, quinze petits tours ne vont pas suffire, il va falloir montrer ce que tu as dans le ventre !

Rien de mieux qu'un connard arrogant pour balancer un coup de pression supplémentaire !

Je l'ignore délibérément et vais me changer dans les vestiaires. Pour les entraînements, je roule avec une combarde classique. Aujourd'hui j'enfile celle que je mettais pour faire des essais moteurs sur la bécane de Lucas, une intégrale rouge et noire. Lorsque je rejoins le stand avec ma tenue ajustée, j'ai droit à quelques sifflements appréciateurs. Je fais comme si je n'avais rien entendu. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive ni la dernière et je n'en prends pas ombrage. J'ignore totalement Mervans et il a le bon goût de ne faire aucune remarque déplacée.

Franck nous réunit tous pour nous expliquer le déroulement des essais auxquels il veut procéder. Nous allons prendre le guidon chacun notre tour au cours des trois prochaines heures afin de déterminer certains réglages que l'équipe effectuera avant une nouvelle tranche de trois heures. Puis, nous ferons quelques relais de nuit pour identifier les plages horaires sur lesquelles nous sommes le plus à l'aise. Demain et les jours suivants, nous augmenterons d'un cran en nous relayant sur une plage de six puis huit heures consécutives, comme ce sera le cas à Suzuka. Et en fin de semaine, nous enquillerons sur une journée et une nuit complète. Une manière de nous entraîner progressivement à tenir le rythme sur une durée de 24 h.

Franck détermine notre ordre de passage. Sans grande surprise, je serai la dernière tandis que Mack débutera la rotation et Antonio assurera le relais entre nous.

— Pourquoi c'est Thomas qui commence la rotation ? grogne Mervans, visiblement mécontent de passer en deuxième dans son équipe.

— Parce que je vous connais ! Vous allez vous tirer la bourre avec Mack si je vous fais tourner en même temps.

— Ben justement !

— C'est pas le moment, Gaël ! Cette semaine, il ne s'agit pas de vous challenger pour améliorer les chronos, mais de permettre à tout le monde de prendre ses marques au sein des nouvelles équipes, de déterminer les réglages à faire sur les bécanes et les périodes de roulage qui vous seront les plus favorables.

Comme me l'a recommandé Franck, je commence doucement sur les premiers tours puis j'essaie de me mettre dans la roue de Glen, mais je n'y parviens pas. Peut-être une conséquence de la fatigue, suite à ma nuit agitée ? Toujours est-il que j'ai du mal à suivre son rythme, à trouver une bonne position sur la moto. Dans les virages notamment, mes bascules de poids ne sont pas fluides. Un peu trop penchée. Pas assez. J'éprouve des difficultés à doser. Au point que je suis en dessous de mes performances habituelles. Ce qui ne ravit pas Franck. Mervans ne se prive pas de faire quelques commentaires désobligeants. Je serre les dents et feins de ne pas entendre les « je vous l'avais dit » qu'il assène aux autres pilotes.

À la fin de la première session de trois heures, mon moral n'est pas brillant. L'attitude circonspecte de Mack ne m'aide pas. Je sens qu'il doute de mes capacités. Antonio en revanche se montre amical et compréhensif. Il tente de me rassurer :

— C'est que le début, raggazza mia. C'est normal de palper un peu.

— Palper ? Tu veux dire tâtonner ?

Si! T'occupe pas des autres, essaie de retrouver tes sensations.

J'essaie de faire abstraction de mes résultats décevants pour me concentrer sur la partie mécanique et proposer des améliorations aux ingénieurs et mécaniciens du team. S'ils écoutent poliment mes suggestions de réglages, ils n'en tiennent pas compte cependant. Ce qui peut se comprendre vu mes piètres performances de la matinée...

Je m'astreins à faire le plein d'énergie pendant la pause repas et me poste devant l'écran de contrôle pour suivre les tours de Mack qui débute la nouvelle session. Il n'y a pas à dire, il est rapide ! Vient ensuite le tour d'Antonio. Il roule en même temps que Gaël et le contraste est flagrant. Le pilotage de l'Italien est tout en nuances, prudent dans les courbes et très rapide sur les lignes droites, alors que celui du macho de service est explosif et même agressif. Mais je dois reconnaître que le mec est doué.

À l'approche de la rotation suivante, je sens le trac monter. J'ai tellement peur de décevoir Franck et mes deux copilotes que j'en ai la nausée. Je m'isole pendant un petit quart d'heure pour me relaxer avant le passage du relais. 

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Les ennuis commencent pour Alix. Le stress s'invite et l'attitude de Gaël n'arrange pas les choses.

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