16. Les couloirs du temps

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La main fermement tenue par celle de Katya, Maelle ouvrit les yeux après l'éblouissement passager que lui avait provoqué la porte de lumière. Elle s'attendait à arriver directement dans l'immense forêt qu'elle avait vu apparaître sur le toit de son immeuble, mais il n'en était rien. Les deux adolescentes avançaient dans une immensité sombre dont on ne voyait pas les limites, comme si elles déambulaient au cœur d'un désert nocturne. Seuls leurs pas résonnaient de manière lugubre, formant une onde sur leur chemin, comme si elles marchaient dans un lac d'un demi-centimètre d'eau de profondeur. Aucun paysage n'était reconnaissable, ni le ciel, ni l'horizon : juste une étendue d'obscurité parfaite. Seule brillait devant elles la lueur lointaine d'une porte aux contours lumineux rouges.

- On dirait la même porte créée par la pièce de monnaie que tu as lancée, dit-elle à Katya.

- C'est bien elle !

Maelle se retourna. La porte qu'elles avaient franchie était toujours derrière elles. On pouvait encore voir à travers le ciel de Paris.

- Comment la porte peut-elle être derrière nous et devant nous ? protesta Maelle.

- Nous sommes dans les couloirs de l'espace-temps. Disons que cette porte est à la fois derrière nous dans notre passé récent et devant nous dans notre futur proche.

- Et où sommes-nous toutes les deux alors?

- Dans le présent. Tout le couloir est juste un présent que nous créons en avançant. Si on s'arrête, le présent disparaît et le couloir avec.

- Tu veux dire qu'on serait prisonnières du couloir si on arrêtait d'avancer ?

- C'est ce qu'on m'a dit. Je n'ai pas tenté de le faire. Chaque seconde, chaque pas est ton présent. Reste concentrée sur l'ici et maintenant et ne dévie pas de ta route, sinon tu vas te perdre.

Maelle se retourna par réflexe tout en marchant, sa main dans la paume chaude de Katya. Ses pas s'effaçaient derrière elle, sans aucune trace. La porte s'éloignait de plus en plus et son monde avec.

- Nous devons atteindre la porte du futur, reste concentrée, insista Katya.

Combien de temps allaient-elles marcher ? Maelle n'arrivait pas à le savoir et, malgré ses efforts, la porte du futur semblait si lointaine, comme si elle s'éloignait de plus en plus. Quant à celle du passé, elle était encore visible... Maelle s'inquiétait tellement pour Lyne. Si elle pouvait y retourner, si elle savait comment faire pour l'aider, si...

Prise de vertige, elle se tourna vers la porte du futur, mais cela ne la calma pas d'avantage.

Chaque pas la menait vers un monde dont elle ne savait rien. Et si elle se mettait en danger ? Si Katya n'était pas fiable ou si le Grand Sage écarlate était une mauvaise personne ? Si elle ne trouvait pas le moyen de retrouver sa mère et si...

Son cœur se mit à battre et elle eu du mal à respirer, comme si ses poumons se vidaient de tout leur oxygène.

- Maelle, regarde moi ! Qu'est-ce que tu as ?

Elle avait les larmes aux yeux et le ventre noué :

- Je... Ne... Je ne sais pas. Je... J'ai eu peur, je crois.

Katya ralentit le pas :

- Peur de quoi ?

- Du futur. De l'inconnu. J'ai plein de questions et aucune réponse et...

- C'est de l'anxiété.

- De l'anxiété ? répéta Maelle, en avançant doucement.

- La crainte du futur, c'est comme ça qu'on définit l'anxiété. Je t'ai dit de rester concentrée sur le présent parce que c'est une réaction typique dans les couloirs du temps. Regarde, elle tendit sa main libre vers la porte du futur. Nous allons là-bas et nous ne pouvons pas revenir en arrière, je ne connais pas le chemin de retour. Les profondeurs du lac du présent changent à chaque seconde. Nous avons pieds tant que nous créons le présent. Si tu tentes de retourner vers ton passé et donc vers la porte de ton monde que nous venons de quitter, tu détruis le présent : la route où nous nous tenons toute les deux. Le sol pourrait disparaître sous tes pas et tu finirais absorbée par le néant.

- Le néant n'existe pas.

- Dans les couloirs du temps, il existe et il n'existe pas en même temps. Pour faire simple : le passé n'existe pas. En essayant d'y retourner, tu es destinée à disparaître aussi.

- Mais la porte du futur paraît si lointaine ! Et si...

- Regarde-moi, Maelle. Nous n'avons pas le choix. La porte, la seule que nous avons est tout droit. C'est le futur. Tant que nous ne franchissons pas le seuil de cette porte, nous sommes condamnées à rester ici et à continuer d'avancer à moins de vouloir finir englouties par le néant du passé.

Katya leva leurs mains liées jusqu'au niveau de leurs yeux avant de reprendre :

- Ce futur qui te fait peur, nous y allons ensemble. Je serai à tes côtés tant que tu le souhaiteras. Si tu as peur, prends ma main. Reste concentrée sur nos mains liées et sur ta volonté de sauver ta mère. D'une manière ou d'une autre, nous trouverons des solutions. Mon mentor dit qu'un problème sans solution, cela n'existe pas.

- Quoi ?

- Si un problème n'a pas de solution, c'est que ce n'est pas un problème.

- C'est n'importe quoi ! Maelle haussa les épaules.

- Tu crois ?

- Bien sûr, il y a des problèmes mathématiques super célèbres dont on n'a pas encore trouvé la solution.

Katya sourit tout en marchant à une allure plus rapide.

- C'est qu'on n'a pas « encore » trouvé la solution, le fait d'en chercher une prouve que c'est bien un problème.

- Drôle de logique.

- C'est la logique de mon mentor.

Drôle de mentor, pensa Maelle sans oser le dire. Cette conversation avait calmer son anxiété et l'avait ramener à cet instant. Elle n'osa plus regarder en arrière et fixa avec détermination la porte du futur, posant un pas après l'autre avec assurance.

Au fond, c'était exactement ce qu'était la vie, non ? Un présent éternel à chaque pas.

- La porte se rapproche, on dirait ! constata-t-elle.

- Bi, s'écria Bidule qui sautait à cœur joie devant elles.

Ses bonds formaient de petits cercles concentriques qui se dissipaient dans la matière liquide du chemin et disparaissaient dès qu'il atterrissait après un nouveau bond. Son insouciance calma un peu Maelle. Si Bidule pouvait rester attentif et positif, elle pouvait l'être également.

- On arrive enfin ! se réjouit Katya. N'oublie pas : tu peux compter sur moi à chaque pas dans ce nouveau monde.

Maelle ne put s'empêcher de sourire en retour à cette promesse et se dit qu'elle souhaitait devenir rapidement plus forte. Peut-être que si Katya et elles devenaient amies, la prochaine fois, lorsque Maelle retournerait sur Terre, ce serait elle qui guiderait la jeune guerrière et lui ferait visiter son univers.

Et c'est avec cette pensée, qu'elle franchit la porte vers son nouveau présent.

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Merci pour les 3K vues ! C'est formidable.
On se retrouve au prochain chapitre sur Eterae 😉

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