31. Le registre

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Tandis que de délicieuses odeurs de cuisine emplissaient la demeure de Marhu, Maelle avait du mal à réfléchir.

Que désirait-elle ? Maîtriser cet effrayant pouvoir ou le faire disparaître ?

***

De son côté, Katya pestait en se rendant au marché. Des hordes de citadins et d'étrangers allaient bientôt débarquer pour les épreuves de certifications ce qui allait mettre à mal la tranquillité qu'elle avait toujours connue au village. Elle n'avait jamais mis les pieds plus loin que la forêt et la capitale de Maelle, si elle avait été une exception, ne lui avait pas donné envie d'habiter dans une ville. Allait-elle être jugée par les visiteurs ? Oui, sûrement. Dès l'instant où elle se déclarerait comme aspirante, on la jaugerait sur ses capacités et son passé. Ces yeux inconnus la mépriseraient-ils ? La traiterait-ils de monstre comme l'avaient déjà fait certains habitants du village ? Elle avait mis des années à se faire sa place dans son village natale, et il lui arrivait toujours de sentir peser sur elle les regards méfiants de certains villageois.

Même le capitaine des Limiteurs la détestait.

Elle soupira dans la rue principale en s'arrêtant devant une échoppe. L'enseigne représentait la silhouette gracile d'un oiseau messager. Katya frappa à la porte entr'ouverte sans oser y entrer. Entre des piles bancales de papier et de livre en équilibre précaires, penchées sur des ouvrages à enluminer ou des lettres à classer, Juany et Orane levèrent aussitôt leur visage vers la Limiteuse. Le couple de scribes qui tenait ce commerce était chargé de transmettre au chef du village les messages officiels de la capitale, d'écrire les rapports des traques de somnia ainsi que de garder une trace de tout évènement au village. Ils aidaient également certains citoyens moins instruits à écrire leurs propres lettres à leur famille éloignée. On les considérait à juste titre comme les écrivains publics et les archivistes du village.

Katya leur fit un petit geste de la main, sans rien dire. Les scribes travaillaient toujours dans un silence presque religieux, qu'elle avait apprit à ne pas interrompre. Elle ne pouvait pas non plus entrer, Bidule dormait encore dans sa poche. S'il reniflait l'odeur du papier, il serait difficile de le retenir dans ce qui lui serait apparu comme une caverne au trésor pleine de gourmandises. Dévorer des rapports serait passible de prison...

- Mais qu'avons-nous là ? se réjouit Juany en se levant de sa table d'écriture.

Il se pencha en arrière, mains sur les hanches, faisant craquer son dos engourdi au niveau des lombaires.

- Une jeune limiteuse qui a, semble-t-il, énervé son supérieur, lui sourit Orane en remontant ses lunettes rondes sur son nez.

- On ne peut rien vous cacher, répondit Katya avec une grimace en pensant au capitaine.

- Non, on ne peut rien nous cacher, effectivement. Ce serait contraire à la loi, affirma Orane en enfonçant un crayon dans son chignon blanc.

Katya se demandait toujours comment elle le tenait aussi impeccable. Sa seule trace de négligence était les tâches d'encre sur le bout des ses ongles. Ces tâches, avec le temps, avaient fini par s'incruster dans sa peau.

- Oui, à ce sujet, hésita Katya en se balançant d'un pied sur l'autre. Est-ce que vous pouvez inscrire un nom à côté du mien.

Le couple se figea dans l'ombre de leurs livres.

- Sur la liste ? Orane en fit tomber une mèche sur ses yeux de surprise.

Katya hocha le menton.

- Tu as trouvé un équipier ? s'étonna Juany en sautant presque sur place, tandis que son épouse partit chercher en urgence un parchemin dans l'arrière-boutique.

- Ne me dis pas que c'est Dean, il est trop jeune ! Juany croisa ses bras noueux sur son torse trop mince.

Katya secoua son visage de gauche à droite. Comment allait-elle leur dire ?

- J'ai la liste ! Orane brandit un rouleau dans les airs. Je ne pensais pas la sortir avant l'arrivée officielle des aspirants quêteurs.

Elle défit le ruban doré qui maintenait le rouleau. Elle déroula le parchemin noir sur un coin de table, tandis que Juany poussait leurs lettres et rapports en attentes pour faire de la place.

Orane trempa une plume de verre dans encrier doré :

- Je savais que tu y arriverais ! Alors quel est le nom de ton binôme ?

- Maëlle.

- Tiens, originale ! commenta le scribe en se grattant la joue. Je n'avais pas entendu ce prénom depuis des années.

- En tous cas, tu ne l'avais jamais noté sur le registre des aspirants. Comment as-tu trouvé cette aspirante au dernier moment ?

- Marhu... souffla Katya.

Les scribes se lancèrent un regard entendu. Dès que le nom du Sage des Ecarlates intervenait dans une conversation, un silence s'ensuivait. Il y avait toujours une aura de mystère, de trouble et de respect dans les actions du magicien. Peut-être parce que sa position privilégiée auprès du conseil de la capitale lui donnait une autorité suprême au village, ou simplement parce que sa sagesse tranchait souvent avec son apparence d'enfant. Certains le craignaient, d'autres l'adoraient. Une chose semblait immuable : sa volonté faisait loi dans le cadre de la certification. Il était le délégué de l'autorité pour ces épreuves.

Orane nota le prénom de Maëlle en lettres dorées juste à côté de celui de Katya, non sans se demander qui était cette personne capable de faire équipe avec la plus jeune Limiteuse de tout le pays ?

Lorsque Katya partit chez le marchand voisin, les scribes restèrent muets un moment, chacun pris dans ses propres réflexions. Puis, Juany attrapa un grimoire fatigué sur la plus haute des étagères et y nota ce prénom étrange. Maëlle. Il l'avait déjà entendu. Sa mémoire pourtant excellente lui fit défaut. Il avait beau chercher, il ne se souvenait pas de l'origine de ce prénom qui de toute évidence n'était pas issu du Monde Rouge. Son crayon tapait doucement sur son menton.

Ce n'est qu'au son de pas s'arrêtant devant leur échoppe qu'il fût tiré de sa réflexion.

Deux garçons se tenaient devant eux. L'un avait des cheveux noirs et des yeux en amande, agrandis par de fines lunettes rondes. Le second cachait son visage et son corps sous un capuchon sombre et une cape lui tombant jusqu'aux pieds.

- Bonjour, dit le jeune homme avec les lunettes. Nous souhaitons faire une inscription au registre des aspirants quêteurs.

- Décidément, c'est la journée ! Orane plongea à nouveau sa plume de verre dans l'encre dorée. Vos noms ?

- Ganh et Damian, annonça le garçon tandis que son compagnon restait muet.

La scribe nota les noms sous celui encore humide de Maelle. Les aspirants était bien jeunes cette année, pensa-t-elle.

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Les garçons sont dans la place ! 

J'espère que ca vous plaît ! 

La cité miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant