48.

54 7 0
                                    

- A-t-elle donné une quelconque information utile ? Demandé-je à Sardor alors que nous montons dans la calèche.

Il ferme la porte après nous, puis le cocher s'avance immédiatement après. Une éternité semble s'écouler avant que Sardor ne souffle, exprimant sa frustration.

- Non, soupire-t-il. Elle est bien plus vigilante que je ne le pensais.

Je hoche la tête. Cela est rassurant. Je craignais qu'elle dévoile tout ce qu'elle sait dès la seconde où elle me verrait. Je tourne alors ma tête vers la fenêtre, contemplant le paysage extérieur en entendant le bruit des sabots des chevaux résonner sur la route.

- Je ne viendrais pas, dis-je doucement, je ne retournerais pas à Inimia. Pas pour le moment.

- Que... Que dites-vous, votre Altesse ? Nous sommes en territoire ennemi ! Vous n'êtes pas en sécurité ici, si le prince...

- J'ai épousé le prince héritier d'Althea, avoué-je. Je suis en sécurité, Reynald. Freya et mon père sont ceux qui ne sont pas en sécurité.

Face à cette confession, ses yeux s'écarquillent. C'est compréhensible, après tout. J'ai épousé mon plus grand ennemi.

- J'ai fait la promesse de détruire Althea par tous les moyens nécessaires. Ces yeux ne reverront Inimia que lorsque j'aurai tenu cette promesse, dis-je fermement. Alors, s'il te plaît, retourne auprès de ma famille, reste à leurs côtés et empêche-les de déclencher une guerre. Si c'est le cas, tout le monde mourra.

- Je ne peux vous laisser ici... seule, dit-il en secouant la tête. Je suis votre fidèle serviteur, et je le demeurerai toujours. Je vous suis redevable à tout jamais.

- Si tu es vraiment fidèle, tu m'obéiras ; quitte cet endroit, retourne à Inimia. Je ne suis pas en mesure de le faire, alors occupe-toi de ma famille pour moi, dis-je. J'ai une mission à accomplir, et je l'accomplirai, même sous la menace de la mort.

Il commence à faire nuit à l'extérieur et je contemple le ciel d'un regard vide. Ma sœur est prête à déclencher une guerre pour moi. J'ai envie de fondre en larmes rien qu'en y pensant. Elle me manque. Elle me manque tellement, ma douce sœur. Je suis heureuse d'avoir pu lui parler avant de partir, mais... Je veux la prendre à nouveau dans mes bras. C'est le seul moment où je peux me sentir en paix.

Ma guerrière. J'espère qu'elle sait à quel point sa chère petite sœur la chérit et l'aime.

- Tu leur donneras cette lettre de ma part, dis-je en lui rendant ses papiers et son stylo. Préviens-les que déclencher une guerre, ce serait me tuer.

Mon ancien chevalier hoche la tête. Je soupire, puis lui tourne le dos.

- Ne ressentez-vous pas le manque d'Inimia ? Me demande-t-il.

J'arrête tout mouvement, sans pour autant me retourner. Je prends une grande inspiration, afin d'empêcher de trembler.

- ... Je le ressens, dis-je doucement.

La calèche poursuit son chemin dans la nuit, éclairée par les étoiles et la faible lueur de la lune. Freya aime regarder le ciel nocturne, je n'avais jamais compris cet intérêt. Pour elle, les étoiles n'étaient pas que de simples astres, mais chacune avait une histoire propre à elle. Et une mort propre à elle.

Lorsque j'étais petite, parfois père avait du travail alors je dormais avec ma sœur. Au lieu de me lire une histoire, elle me prenait par la main et nous sortions dans le balcon. Elle choisissait une étoile au hasard, et me racontait son histoire. Je savais que ce n'était qu'un histoire, et cela ne m'intéressait que pour une raison - Freya.

Je voyais ses yeux briller alors qu'elle me racontait l'histoire passionnément.

Chères étoiles, continuez à briller pour ma sœur.

- Votre Altesse, pensez-vous réellement que cette femme soit une de ces rebelles ? me demande Sardor, brisant le silence.

- Elle n'a pas l'air d'avoir réagi en me voyant, dis-je en haussant des épaules. Rien n'indiquait qu'elle souhaitait me parler seule à seule, ou commettre un quelconque acte de traitrise. Elle peut l'être comme elle peut ne pas l'être.

- ... Pourvu qu'elle ne le soit pas, marmonne-t-il en tournant sa tête vers la fenêtre.

Il l'a dit si bas que je ne l'aurais pas entendu si je n'y avais pas prêté attention. La voici, sa faiblesse. La fin que j'ai prévue pour lui commence à devenir de plus en plus intéressante de jour en jour.

- Au fait, votre Altesse... J'ai pu remarquer le serviteur qui se tenait à ses côtés. Il ne cessait de vous regarder, vous a-t-il adressé la parole ?

Je fronce les sourcils. Il n'est même pas capable d'être discret. Fort heureusement, il n'est qu'un simple serviteur... et non quelqu'un de haut placé.

- Je n'ai pas fait attention à lui, dis-je en haussant les épaules. Il a dû tomber sous mon charme, qui sait ?

Je ris légèrement, car Sardor ne montre aucune émotion. Le pire, c'est que ce n'est même pas un mensonge.

- Je ne dirais pas de telles choses devant Son Altesse. Il peut se montrer plutôt... jaloux et possessif.

Azref, jaloux ? Un parfait oxymore. Il ne peut être possessif non plus, il ne peut l'être que pour ce qu'il possède, et je ne lui appartiens pas. Je ne lui appartiendrai jamais.

Je tourne la tête à nouveau vers la fenêtre, un discret sourire s'affichant sur mes lèvres. Peut-être que finalement, Azref me voit pour la première fois. Il me voit en tant que femme, non pas une ennemie à abattre.

A mesure que les battements de sabots des chevaux se faisaient entendre, les paroles du Grand Roi résonnaient en moi. J'ai ressenti comme un changement d'attitude chez Azref récemment, c'est assez subtil je dois dire. S'il montre une quelconque attirance envers moi... je vais devoir user de tout ce que je possède ; corps, âme, esprit.

Serais-je capable de le laisser me toucher ?

Probablement. Cela me frustrerait légèrement que le premier homme qui me touchera de cette manière sera mon ennemi... cependant, je n'ai jamais visionné aimer un homme, alors quelle serait la différence entre lui et un autre homme ?

Du moins, il est le seul homme pour lequel j'éprouve un sentiment. Certes, ce n'est que de la haine, mais cela reste un sentiment.

Je chasse ces pensées, contemplant le paysage en attendant d'arriver au palais. Dès le moment où je me suis engagée dans cette mission, j'ai tout acceptée... alors si je dois en arriver là, je le ferais. Et bientôt, une fois victorieux et libre, tout cela ne sera plus qu'un lointain cauchemar.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now