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- Occupez tout le royaume, dis-je au Duc, ainsi qu'aux soldats. Althea restera sous notre contrôle militaire jusqu'à ce que nous l'intégrions officiellement à notre Royaume. Saisissez les maisons occupées par les Althéens qui appartiennent à ceux de notre peuple, et emprisonnez quiconque tente de résister. Jusqu'à l'officialisation, nous ne devons pas baisser notre garde. Entendu ?

Tous hochent la tête. J'aurais aimé rester avec eux, les commander personnellement... Cependant, le corps de la Grande Reine est avec nous. Je suis la seule, ainsi que mon père, à pouvoir toucher sa tombe sans craindre d'être attaquée. Je monte alors dans la calèche, et nous prenons la route. Duc Valerius m'accompagnera jusqu'au royaume et fera fréquemment des allers-retours pour s'assurer que tout aille comme prévu.

Après un moment, nous nous arrêtons dans un endroit désert, qui était autrefois un village, le village de Birsan, là où nous attendait des soldats. Je descends de la calèche, mes cavaliers portant son corps. Le regard vide, je leur demande de poser son corps sur le sol un instant. Je ne peux m'empêcher de m'agenouiller face à son corps enroulé dans sa cape, et de découvrir son visage.

Je me penche vers elle et lui dépose un léger baiser sur le front, les yeux fermés.

- Merci, ma chère amie, murmuré-je. Ton sacrifice restera à jamais dans nos mémoires, je ne t'oublierai jamais.

Puis je me relève et fais un signe de tête aux soldats, afin qu'ils puissent l'enterrer. J'espère qu'elle pourra reposer en paix, en retournant au village de ses parents. Ma famille n'a pas pu protéger sa famille, et je n'ai pas pu la protéger.

Je vois petit à petit la terre recouvrir son corps, et je ne peux m'empêcher de penser à Azref. Lui aussi, a-t-il pu être enterré ? Et où ? Et ma sœur, Freya... Elle doit se sentir si seule, si effrayée, ma jolie sœur qui détestait tant l'obscurité. Je dois y aller et la voir, lui parler, lui dire que je suis de retour...

Alors après un moment, je prends la seule fleur qui a poussée sur cette terre, et la pose sur la tombe de Birsan, avant de me tourner et remonter dans la calèche. Nous reprenons notre chemin, mes yeux ne quittant pas la fenêtre.

- Vous allez bien, votre Altesse ? Me demande le Duc, depuis ma fenêtre alors qu'il galopait son cheval.

- Je vais bien, répondis-je simplement. Simplement, je voudrais que vous nous devanciez, Duc Valerius. Je vais déposer le corps de la Grande Reine auprès de son frère, puis je vais rendre une petite visite à Madame.

Il me regarde un instant, avant de hocher la tête et nous devancer. Freya lui a-t-elle dit ce qu'il y avait entre Madame et moi ?

Après un moment qui m'a paru très court, nous sommes arrivés au palais, sous les acclamations de nos sujets et le personnel du palais. Je descends de la calèche, et remarque immédiatement que la nature, l'environnement du royaume s'est éclairci... tout est devenu plus joyeux, alors que la Grande Reine retourne enfin chez elle.

A l'aide d'une charrette, nous descendons au sous-sol du palais avec la tombe. Les soldats s'arrêtent à la porte, n'ayant pas le droit d'entrer, puis s'en vont. Je pousse la charrette moi-même, amenant les deux tombes côte à côte. A cet instant précis, toute la pièce semble s'illuminer. Cette pièce où j'ai rencontré le Grand Roi pour la première fois, où j'ai reçu ma mission.

- Grand Roi, Grande Reine, j'ai tenu ma promesse.

Leur esprit se réunit, avec émotions, pleurs et rires. Je pouvais les voir se prendre dans les bras, la sœur s'étant enfin réunie avec son frère après deux cents ans. Ils se sont réunis, comme j'aurais aimé l'être avec Freya, à la fin de cette mission.

- Merci, Della, me disent-ils. Tu as enfin brisé le malheur de notre famille, nous sommes enfin au complet...

Je hoche la tête, le regard toujours aussi sans émotions. Je n'aurais pas dit que nous sommes au complet. Tant que Freya ne reviendra pas, nous ne serons jamais au complet. Je pourrais le feindre, mais ils le voient tous... je ne partage pas leur joie.

- Veuillez m'excuser, j'ai une affaire à régler.

Le Grand roi me regarde, semblant comprendre de quoi il s'agit. Sans lui laisser une chance de me poser des questions, je quitte le sous-sol et remonte à l'étage, là où m'attendait le Duc. Il a fait ce que je lui ai ordonné. Je monte avec lui dans la chambre de Madame, l'étage entier s'étant fait vider de tous ses gardes.

Elle était là, dans le salon, seule. Je m'approche d'elle et l'interpelle, ses yeux se remplissant immédiatement de peur. J'empoigne ses cheveux et m'avance avec elle, alors qu'elle tente de se libérer de mon emprise, lâchant de léger cri de douleur.

Puis enfin, je la jette au sol.

- Ton heure est enfin arrivé, dis-je froidement.

Sa respiration s'accélère, son regard indigné. Même dans cet état, elle ne peut s'empêcher de paraitre arrogante.

- Est-ce maintenant que tu te rebelles ? Me dit-elle, un sourire tordu sur le visage. Il aurait mieux valu que tu te contentes de garder le silence et de continuer à endurer l'humiliation. Ton futur mari est désormais au courant de ta faiblesse, Della. Lui as-tu dit à quel point tu obéissais à tous mes ordres ? Lui as-tu dit que tu te tordais de douleur, puis que tu revenais lorsque je te le demandais ? Lui as-tu dit comment, quelques jours avant que tu ne t'en ailles devenir la prostituée du prince Althéen, je frappais tes mains de mon éventail jusqu'à ce qu'elles saignent sans que tu ne fasses quoi que ce soit ?

J'arrête Duc Valerius qui s'avançait afin de lui donner un coup. Je continue à la fixer, le regard vide et sombre. Je m'avance lentement, la dague que m'a tendu le Duc à la main, et la pose sur sa joue.

- Je suis appelée un diable humain, laisse-moi te le prouver, dis-je en traçant une ligne sur sa joue.

Elle tente de me prendre la dague, mais elle se prend un coup dans la main, la laissant crier de douleur. Je lui tourne autour, et découvre son dos, un dos impeccable. Sans trace, sans cicatrices. Je me dirige vers son tiroir, et en sors son fouet favori. Elle ne l'a pas déplacé, comme si le temps où j'étais humiliée dans la même position qu'elle n'était pas encore révolue.

- Enfant ingrate, cesse tout cela immédiatement !

Je suis éprise d'une rage incontrôlable. Elle tente de se débattre, mais le premier coup part. Une première marque rouge et vive apparaît sur son dos, accompagnée de ses cris de douleurs.

Je ne pouvais me retenir. Les marques se multiplient, et je ne pense plus qu'à l'envie d'entendre ses cris, à l'envie d'en finir avec elle. Je voulais ressentir la satisfaction d'une vengeance tant attendue mais... en vain. Je voulais du sang, je voulais de la destruction, je voulais ressentir quelque chose, même si c'était de la culpabilité ! Ce vide dans mon cœur et mon âme me broie de l'intérieur.

Elle aurait dû me tuer quand elle en avait l'occasion.

Je n'aurais jamais perdue ma sœur. Je n'aurais jamais connu Azref.

Je serais retournée auprès de maman, mon âme ne s'étant pas encore teintée.

C'est trop tard.

Mes coups se font plus forts, plus rapides, je n'entendais plus que ses hurlements de douleur. Me voyait-elle ainsi ? Au sol, avachie, mes hurlements la suppliant de cesser, ce dos devenant de plus en plus rouge à mesure que ses coups se multipliaient. Se disait-elle, elle aussi, que finalement... ils avaient raison de la surnommer "diable humain" ?

Freya me détesterait.

Elle détesterait me voir ainsi.

Inconsciemment, mes coups ont cessé, le fouet au sol, mon regard figé.

- Avant demain matin, tu seras parti, dis-je, la voix tremblante. Je t'exile de nos terres pour toujours.

- Non, tu ne peux pas faire ça ! Tu ne peux pas-

Je la gifle, la faisant taire. Je ne prononce plus un mot, je n'en ai pas la force. Je me suis simplement retournée, et suis sortie de son appartement, la laissant en sang et souffrante. 

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant