55.

66 7 0
                                    

Je marche dans le couloir en essayant de ne pas être vu, tout en respirant difficilement. Chacune de mes respirations accroît ma douleur. Je tente de conserver ma lucidité, afin de ne pas m'évanouir en plein milieu du palais. Seules les servantes de ma mère ont pu me voir, dégoulinant de sang.

Je m'arrête un instant, ma main cherchant instinctivement le soutien du mur, et me penchant en avant afin de reprendre mon souffle. Je n'ai jamais ressenti cela. Si épuisée, presque comme si j'avais couru des kilomètres. Je ferme les yeux un instant, luttant contre les vagues de nausée qui menacent de m'envahir.

Puis, avec un effort surhumain, je reprends ma marche chancelante, refusant de succomber à la faiblesse qui m'envahit. Je ne tiendrais pas longtemps.

Si quelqu'un me voit dans cet état, il supposera que le coupable est Della.

Et enfin, comme si des années s'étaient écoulées, j'arrive à mon appartement. J'ouvre la porte, et une fois à l'intérieur, je m'appuie sur le mur, faisant presque glisser mon épaule dessus, laissant une traînée de sang derrière moi.

Il fait chaud. Si chaud. J'ai la sensation d'étouffer, je ne suis plus conscient de mes mouvements. Mon corps s'avance seul, et je ne reconnais que mon lit. Je me jette dessus, sentant mon visage trempé, mon corps également, ne sachant si c'est de la transpiration ou du sang. Tout autour de moi devient flou.

J'entends une douce voix au loin. Les sons s'atténuent, les contours se brouillent, et je me retrouve transporté vers un univers où la réalité et l'illusion se confondent. Je ne sais où je suis.

- Azref ?

J'entends la voix m'appeler à nouveau, une douce et angélique voix. Elle résonne comme une caresse, me réconfortant dans mon état. Et c'est à ce moment-là que Della traverse mon esprit. Sa voix est si douce qu'elle donne parfois l'impression d'être du miel, même lorsque ses paroles sont dures et haineuses. Du miel teinté de poison.

Cependant, il était impensable qu'elle soit celle m'ayant appelé par mon nom.

La voix se rapproche. Et au-dessus de moi, je vois le visage d'une femme. Je n'arrive pas à le distinguer, pourtant il me paraît familier, rassurant. Les cheveux de la femme flottent au-dessus de mon visage, et elle semble me sourire.

... Un ange ?

Non. Un ange ne me viendra jamais. Un démon déguisé en ange, probablement. Un démon ressemblant étrangement à...

- Della... ?

La femme face à moi ne fait que s'embellir, je ne sentais rien d'autre, et ne voyait rien d'autre que sa présence. Elle n'est qu'un rêve. Cependant, je n'ai pu m'empêcher de me relever, prendre son visage entre mes mains, et contre toute attente, je porte mes lèvres aux siennes.

DELLA

Je m'étais allongée sur le lit sur le côté, fixant le vide. Avant que je ne parte de chez Luzia, Reynald m'a donné une lettre venant de ma sœur. Je l'ai lu, et mémorisé son contenu. Et depuis, mon cœur s'est empli d'un immense chagrin.

Ma chère petite sœur,

J'ai bien reçu ta lettre et oh, comme j'ai remercié le Seigneur de t'avoir épargnée. Je tiens d'abord à te dire que je suis fière de toi, ma chérie. Tu es allée si loin, tu as réussi à survivre seule, et tu es si proche du but que tu t'es fixé toute ta vie.

Je garde les yeux fixant le vide, alors que ses mots se répètent dans ma tête.

Maman nous comparait toujours à deux oiseaux, deux oiseaux similaires. Il s'avère que nous le sommes vraiment. Toi, ma chère sœur, tu t'es envolée pour découvrir le monde et moi, j'étais trop effrayée pour te suivre. J'ai préféré le confort de notre arbre.

Et je suis toujours là, sur cet arbre. Un instant, j'ai regardé le ciel, me demandant ce que cela ferait de s'envoler juste pour être avec toi. Mais je suis restée sur notre arbre, et je me suis dit que je n'étais pas faite pour voler. Je suis faite pour rester là, et attendre ton retour, pendant que tu découvres le monde.

Mais cela a aussi ses inconvénients : une pierre peut tuer deux oiseaux. Ne laisse pas cette pierre te toucher, ma sœur bien-aimée, car tu ne tomberas pas seule.

Fais ce que tu as à faire à Althéa, je prierai pour ta victoire et ta sécurité, et si tu le veux après tout cela ; reviens auprès de ta grande sœur. Je t'attendrai toujours, et je ne t'abandonnerai jamais, ma petite sœur adorée.

Je t'aime.

Freya.

Les larmes me montent aux yeux, alors qu'un petit sourire se dessine sur mon visage. Ils disent que les prières des mères pour leurs enfants sont toujours exaucées, Freya m'est devenue une figure maternelle après la mort de maman, j'aimerais croire que ses prières seront toujours exaucées aussi et je peux vivre avec l'esprit tranquille.

Mes pensées ont continué à défiler dans ma tête, alors que je commençais à m'endormir. Cependant, j'entends un corps lourd tomber à côté de moi. J'ai entendu une respiration étrange et j'ai senti une forte odeur de sang et de sueur. J'ai pris une grande inspiration et je me suis retourné pour voir ce que c'était.

Je suis surprise de voir Azref, allongé sur le lit, comme s'il était malade. J'ouvre la lumière de la lampe, et mes yeux s'écarquillent en voyant son corps baigné de sang, le sol et les murs aussi.

- Eh ! Que s'est-il passé ?

Il n'a pas l'air d'être lui-même en ce moment. Et voyant tout ce sang venant de son torse... Il semble avoir été poignardé. Je ne le laisserai pas mourir. Il ne peut pas mourir de cette façon. Il doit souffrir. Il doit assister à la chute de son royaume. Ma vengeance n'a même pas encore commencé !

- Azref !

Il s'est mis à me regarder en souriant. Son front est couvert de sueur, il a de la fièvre. J'allais me lever pour appeler un médecin, n'importe qui qui pourrait m'aider - même si je savais que je serais accusée -, mais Azref m'a retenue.

- Della...

Il ne l'a pas fait intentionnellement. Il ne m'a pas attrapé par les poignets ou autre. Il a pris ma tête entre ses mains et il m'a embrassée.

Dans son état second, Azref m'a embrassée. Embrassé.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now