L'ombre écarlate

109.

Je me tiens prête face à tous les sujets qui se sont réunis, la nouvelle de mon retour a dû être répandue, cependant cela n'empêche leur regard surpris et leur murmures indiscrets. Malgré le refus de mon père, ses vaines tentatives de m'en empêcher, je me tiens là, devant eux.

Je me racle la gorge, signe que je vais commencer ma prise de parole, suivi d'un silence total.

- Mes chers sujets, commencé-je. Me voici devant vous, après plus de six mois. Mon cher peuple, vous le saviez... Le devoir d'un monarque n'est pas simplement de diriger, mais également d'attaquer, de défendre, de se mettre en première ligne s'il faut. Et j'annonce avoir accompli mon devoir avec succès.

Je prends une grande inspiration avant de récupérer le seul balluchon que j'ai amené avec moi d'Althea. Je l'ouvre face à eux, sortant deux couronnes bien distinctes, toutes deux couvertes de sang. Le sang du roi, et celui... d'Azref. Je les lève en l'air, afin de leur montrer. Simplement, celle d'Azref me paraît plus lourde que celle de son père.

- Le roi et le prince d'Althea, tous deux, ont goûtés à leur fin. La descendance du chevalier traître, le meurtrier de notre Grande Reine, a enfin disparu de la surface de la terre après deux cents ans de tyrannie ! Réjouissez-vous, mon peuple, nous sommes victorieux !

Les cris de joies s'en suivent. J'en profite afin de remettre les couronnes, et malgré les avoir remis... le poids ne se retire pas de mes épaules. Je n'arrive pas à me réjouir avec eux, mes mots sont vides, je ne les pense pas, je ne les ressens pas.

- Il ne reste désormais plus qu'un seul pas vers la liberté totale, et le rétablissement de notre ancien Royaume... La guerre, dis-je, tout en restant ferme afin qu'ils ne doutent pas. Peuple libre d'Inimia, ceci est notre dernière guerre ! Nous devons venir en aide aux nôtres vivant dans nos terres dérobées. Je vous demande, pour la dernière fois, ce dernier sacrifice. Pour nous tous. Pour nos futures générations.

Je garde la tête haute, alors qu'ils applaudissaient, m'encourageaient. Je prends soin de reprendre le balluchon avec moi, avant de retourner au palais. Je m'efforce de marcher du mieux que je peux, de me tenir droite, afin que personne ne puisse se douter de quoi que ce soit.

Cependant, une fois à l'intérieur, Duc Valerius se rue sur moi et je me tiens à lui. Je déteste me sentir aussi faible... Suis-je en état de me débattre pour autant ?

- Vous avez certainement eu l'effet désiré sur nos sujets, votre Altesse, me dit le Duc. Ils vous regardaient, comme s'ils étaient tous prêts à mourir pour vous, si cela était votre demande.

- Je ne leur ai pas dit, cependant, que cette guerre sera sanglante... que beaucoup y perdront la vie.

- Je suis certain qu'ils l'ont compris. Qui s'engage en guerre sans savoir qu'ils risquent de mourir ?

Cela est vrai... Cependant, cette fois, ce ne sera pas pareil. Lorsque nos pertes sont trop grandes, généralement, nous nous retirons. Cette fois, nous allons nous battre jusqu'au dernier. Même s'il ne reste plus qu'un seul homme vivant, nous allons continuer.

Une fois arrivé dans mon salon, je me tourne vers le Duc.

- Je sais que vous ne désirez qu'une chose de moi, Duc Valerius, dis-je d'un ton neutre. Concernant l'affaire de mariage, laissé après ma disparation. J'aimerais vous donner directement ma réponse...

- Votre Altesse, nous avons énormément de temps pour en discuter, dit-il en souriant faiblement. Laissons ce sujet lorsque vous irez mieux.

- Je préfère en parler maintenant pour éviter de faux-espoirs... il est vrai que j'ai accepté votre demande plus tôt, cependant, je n'ai plus aucun désir de mariage, dis-je, le fixant dans les yeux, ferme. Vous allez m'en vouloir, mais il vaudrait mieux pour vous de trouver une autre femme.

Je sais qu'il est blessé, qu'il s'attendait à ce que nous reprenions là où nous étions... Mais après Azref, je me sens incapable de m'imaginer dans les bras d'un autre homme. Après la guerre, je sais bien ce qu'il m'attend... Duc Valerius me reproposera un mariage, le Conseil me pressera afin que j'épouse un homme, et que je produis un héritier le plus rapidement possible.

Je me retire une pression avec le Duc, espérant qu'il soit compréhensif. J'espère tout de même que mon refus ne sera pas mal compris. Ils ne sont déjà pas favorables à une femme à la tête d'un Royaume, s'ils apprennent ma relation avec Azref – qu'elle est devenu bien plus qu'une simple relation platonique – je suis certaine d'être jugée et doutée jusqu'à mon dernier souffle.

- Je comprends, me répond-il. Ce mariage n'aurait été qu'un mariage d'alliance, rien de plus...

Je hoche la tête.

- Pour autant, je ne quitterais pas vos côtés, votre Altesse. Mariage ou non, considérez-moi comme un fidèle ami, me dit-il avec un petit sourire. Comme je l'ai été avec votre sœur...

- ... J'aimerais que vous envoyiez des hommes afin de surveiller les faits et gestes de Madame. Elle risquerait de s'échapper avant même que je ne puisse la punir.

- Punir ? Qu'a commis Madame pour être punis ? Me demande-t-il, les sourcils froncés.

- Della ! Dit-il avec un sentiment d'urgence. Réponds-moi ! Qui dois-je faire payer ? Qui dois-je tuer ?

...

- Je sais seulement que je dois les cacher, je suis hideuse...

- Non... Dit-il, sa voix s'adoucissant. Non, tu n'es pas hideuse. Tu... tu es magnifique, mes yeux ne voient que toi... Della...

Je serre ma robe entre mes doigts, chassant ce souvenir de mon esprit. S'il était là, lui aurait-il véritablement fait payer ? Ou était-ce simplement des mots sur le moment ?

- Tout le monde le saura au moment venu, traitez-la simplement comme une criminelle. Elle ne doit pas s'enfuir.

- Bien, votre Altesse. Vous pouvez être certaine, Madame sera surveillée et ne s'échappera pas.

Après la guerre, je réglerai mes derniers comptes avec elle. L'ironie... Elle n'a levé la main seulement sur moi, pensant qu'elle ne paiera jamais de ses actes, sans savoir que je serais la prochaine Reine.

Celle qu'elle accusait de souiller l'honneur des Avalorn sera sa propre fin. C'est ma parole. Et je tiens toujours ma parole.