Chapitre 2 - Vale Joakime Wayle

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Les couloirs du lycée sont enfin vides. Seules les odeurs restent mais elles sont supportables tant que je n'ai pas à me mêler à l'étuve d'hormones adolescentes. Les écouteurs dans mes oreilles atténuent les bruits ambiants qui m'agacent au plus haut point.

J'arrive devant cette foutue salle 15 et m'arrête un instant avant d'actionner la poignée. Je fronce les sourcils et retient mes canines de se manifester. Il y a des odeurs qui ont le don de me titiller les narines et celle du sang est en première place. Elle est puissante, comme si un corps était ouvert juste derrière. J'espère que les cours de dissection ne commencent pas aujourd'hui, mon petit déjeuner n'a pas été très conséquent et simuler un malaise dès le premier jour est peu gênant. Il annoncera la couleur pour les professeurs sur ma "sensibilité" mais sera l'objet de moqueries auprès de mes chers camarades.

Je soupire, et me jette dans la gueule du loup. Je serre les dents. Bordel, ça pu le cadavre. Le corps pourri, celui qui gît depuis un siècle dans une cave. Ma mâchoire ne se desserre pas. Je me raccroche au premier regard que je croise et...

Oh.

Son regard vairon ne me lâche pas. Il ne me fuit pas et me soutient avec fermeté. Ma respiration se calme, l'odeur de cadavre s'évapore pour laisser place à un parfum de vanille et de chocolat, deux senteurs aussi distinctes que la couleur de son tye and dye. Quelque chose se passe.

Je romps notre contact et traverse la salle de cours d'un pas rapide.

— Eh bien, lance le prof. Je crois que notre dernier élève est arrivé ! Bienvenue à vous, Vale Joakime Wayle.

L'odeur de mort est masquée par cette jeune femme. Je trouverai plus tard la raison, mais pour les quelques minutes restantes, je me contente de ce fait.

Le professeur demande de faire passer des documents donnés plus tôt. Sans surprise, monsieur Hyde m'invite à rester après la sonnerie pour récupérer les documents et informations que j'ai manquées. Son sourire est sincère et sa gentillesse déborde. J'espère pour lui qu'il sait ce qu'il fait. Quelqu'un de trop gentil finit toujours par se faire manger tout cru.

J'ai beau en avoir manqué la moitié, le discours de rentrée est malgré tout interminable. J'aurais largement pu le donner moi-même si je n'avais pas eu l'air d'un adolescent. Les premiers temps, être l'élève le plus doué m'amusait mais, depuis quelques années, j'ai ingurgité autant de variantes du programme scolaire que plus rien ne sait retenir mon attention.

Mais aujourd'hui j'ai trouvé ce qui me donne envie de revenir en cours de sciences, quitte à subir le parfum cadavérique des salles de cours.

L'heure se termine et le brouhaha des élèves ne se fait pas attendre. La salle se vide, me laissant seul avec le professeur.

— Monsieur Wayle, j'espère pour vous que ce retard est exceptionnel.

J'attapre les documents destinés à mes "parents".

— Ma situation est très différente des autres élèves. Vous devez avoir lu mon dossier, vous savez que mes absences seront répétées et rarement prévenues.

Il acquiesce et replace ses lunettes sur son nez.

— Je sais et je tiens également à ce que vous sachiez que je suis un professeur à l'écoute de ses élèves. Si je peux vous être utile, n'hésitez pas à me contacter par mail. Si jamais, je vous transmettrai mon numéro de téléphone.

La sympathie n'est pas qu'une qualité. Je fronce les sourcils.

—  Merci.

— C'est aussi valable pour vous, Madame Devilson.

La jeune femme passe la tête dans l'encadrement de la porte.

— Je... Je n'écoutais pas, promis, bredouille-t-elle, le rouge aux joues.

Le professeur Hyde sourit.

— Je n'en doute pas, mais je sais que votre situation est proche de celle de monsieur Wayle alors... Serrez-vous les coudes !

Je soupire et fourre les papiers dans l'une de mes poches.

— Merci pour votre temps, monsieur Hyde.

Je quitte la salle sans me retourner vers cette jeune femme.

— Excuse-moi !

Je ne m'arrêterai pas pour ses beaux yeux vairons. Elle l'a bien compris et me rattrape pour se planter devant moi.

— Ça t'arrive d'être sympa ?

— Si t'es en manque de gentillesse, t'as une touche avec le prof principal.

Elle lève les yeux au ciel et continue de me suivre.

— Tant pis, je voulais pas être là meuf cheloue mais tu me laisses pas le choix.

Elle était vraiment beaucoup plus agréable quand elle fermait sa bouche. Je m'arrête net et croise les bras. Elle m'accorde un grand sourire.

— La salle de cours est de l'autre côté.

— Et comment tu le sais ?

— Parce que j'ai vu d'autres passer. T'es pas observateur.

La faim me rend irritable. J'ai besoin de trouver de quoi me nourrir et vite. Le sang est encore incrusté dans mon esprit et je ne serais calmé qu'après avoir vider un lapin.

— Parfait, passe devant, je te suis.

— Pour que tu files à l'anglaise dans mon dos ?

Je râle en me retenant de l'étriper. Finalement, je vais pouvoir patienter si elle me sert de quatre heures. Vu son gabarit, certes petit, il sera toujours plus nutritif que n'importe quel autre petit animal.

— Montre moi la voie.

Je me résous à la suivre dans les couloirs bondés. 

— Moi c'est June Lily Summer.

Un prénom beaucoup trop long. Ses parents avaient-ils envie d'avoir un enfant ?

— Ok cool.

Elle se pince les lèvres. Je lève les yeux au ciel en crachant le morceau.

— Vale.

Flower Moon's ChroniclesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant