Chapitre 16 - Vale Joakime Wayle

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Je profite de mon samedi pour faire ce que j'aurai du faire depuis longtemps : rien. Je retrouve avec grand plaisir mon exemplaire du Portrait de Dorian Gray et profite d'avoir le manoir pour moi seul. Le canapé est vraiment confortable, tout comme l'absence de grand soleil et de Diane. Rester paisible, c'était mon plan initial, mais la sonnette en a décidé autrement.

Je soupire et quitte mon havre de paix.

Après la soirée d'hier, je n'ai vraiment pas envie de voir Marcus pointer le bout de son museau. Après mûre réflexion, je me demande s'il n'est pas l'oméga de sa meute. Toujours solitaire et accroché aux basques d'un vampire... D'habitude, les loups sont toujours fourrés ensemble, mais lui... j'ai l'impression qu'il cherche à fuir sa maison.

Une vague de coups portés à la porte me ramènent à la réalité.

— Sérieux, Marcus, va voir ailleurs si...

La mâchoire m'en tombe. Un visage inconnu se cache derrière celui que je ne pensais jamais avoir à rencontrer.

Des yeux verts et des cheveux de jais en bataille, un sourire en coin qui me pétrifie et une cravate à pois que tous les fans reconnaîtraient entre mille.

Dans un souffle, je lâche son identité.

— Billie Joe Armstrong.

Son sourire laisse paraître ses longues canines.

— Pour toi, Vale, c'est Grand Maître.

Je suis en plein délire. Le chanteur de Green Day est le Vampire Suprême ?

L'identité du vampire originel est gardée secrète pour une raison obscure. J'ai toujours cru que c'était pour garder une aura mystérieuse et que c'était une sorte de tradition. Je n'imaginais pas un instant que notre maître était occupé à chanter et écrire des chansons.

Rien ne va.

Le chanteur s'accoude à l'encadrement de la porte en détaillant l'entrée.

— Je passais dans le coin et je me suis dit que faire un petit coucou à la dernière recrue du clan serait une bonne idée. Diane n'est pas là ?

Je déglutis péniblement. S'il sent qu'une humaine vit tranquille ici avec nous, les choses peuvent déraper. J'ai entendu assez de légende sur le sort qui attendait les vampires "human friendly" et aucun n'est encore de ce monde pour affirmer les propos.

— Elle travaille.

Son froncement de sourcils est fugace.

— Travaille ? Je ne me rappelle pas lui avoir donné une mission...

Il claque des doigts et le jeune homme derrière le Grand Maître place dans sa main manucurée de noir un smartphone.

— En effet, c'est sa couverture. Elle est tatoueuse en ville.

Rester le plus calme possible sans éveiller les soupçons, je sais faire... je crois ?

— Bien, alors nous allons l'attendre, tu as quelque chose à faire Michael ?

Le dit Michael fait non de la tête.

— Et je suis sûr que notre lycéen préféré à de quoi nous divertir. Nous devons avoir tellement de choses à nous dire. Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre son idole. Si tu me plais assez, peut-être que tu auras une place de choix pour notre prochaine tournée.

Je serre les dents et me décale. J'essaye un sourire mais je ne voile pas la face, il est aussi forcé que l'odeur récurrente de June Lily Summer.

— Je vous en prie, il doit me rester quelques poches de sang.

— Volontiers, mais je ne bois que du O+, je suis au régime. Oh, et prévient Diane que je l'attends. Habituellement, ce n'est pas mon genre, mais je peux faire un effort pour ses beaux yeux.

Son rire glacial met définitivement mes projets dans la tombe.

☽☾

Les bottes sur la table passe et les fesses dans le canapé, Billie sirote son sang dans un verre à whisky. Être hôte n'est pas mon fort et rester sur une chaise à attendre qu'il daigne enfin faire un geste pour couper le silence m'exaspère. Si je ne risquais de me faire couper la tête, je crois que je l'aurai envoyé paître dans la clairière de la forêt.

Distraitement, il prend une gorgée de son verre pendant que j'envoie un message à Ambre, lui interdisant formellement de passer la porte d'entrée.

— Je n'ai pas reçu ton rapport quant à la créature dans ta forêt.

— J'ai manqué de temps pour la rédaction...

Un sourire carnassier se dessine sur son visage.

— Quelle chance que je sois ici devant toi. Une petite présentation me divertirai. Tu as prévu le Power Point ?

Je me retiens de soupirer.

— Navré, Grand Maître. Votre visite étant à l'improviste, je n'ai pas eu le temps de préparer quoi que ce soit, mais je peux vous donner les grandes lignes.

Le dilemme est vite répondu. Risquer la vie du frère de June et celle de Marcus, soit deux adolescents que je connais depuis une semaine, ou bien ma propre vie ? Je dois dire la vérité.

— Je n'ai pas réussi à pister la créature.

Je suis un abruti. Définitivement.

Billie fronce les sourcils :

— Vraiment ? Tu avais pourtant l'air en bonne voie. Ta description était très précise. N'importe quel Abécédaire des créatures fantastiques peut avoir la réponse.

Restant maître des micros expressions de mon visage, je reste le plus stoïque possible.

— Parce que vous l'avez ?

— Vale Joakim Wayle, me prendrais-tu pour un idiot ?

Son regard est dur, son sourire me donne des sueurs froides et sa poigne devient si intense que le verre se brise entre ses doigts.

— Absolument pas, Grand Maître.

— Mets la main sur ce foutu Wendigo et réduits le en pièce. Ce n'est pas une mission, mais un ordre. Si une créature pareille continue de menacer les humains, c'est nous aussi qu'il menace.

Le sang tache le parquet et les bottes de Billie se font un malin plaisir à en laisser des empreintes jusqu'à moi.

A quelques centimètres de son visage, son haleine ensanglantée emprisonne mes sens.

— C'est un ordre.

La porte d'entrée claque et le sourire de Billie s'imprime dans mon esprit. 

Flower Moon's ChroniclesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant