Chapitre 6 - Vale Joakime Wayle

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Enfermé dans ma chambre après m'être enfilé quatre poches de sang, je garde mes écouteurs en jouant en boucle American Idiot. Allongé sur mon lit, je n'ai rien d'autre à faire qu'attendre la nuit pour enfin me dégourdir les jambes comme il se doit. Marcher comme un humain demande une concentration fatigante.

Aussi fatigant que d'être concentré sur June Lily Summer. Pourquoi son parfum a pu masquer l'odeur pestilentielle de la salle de sciences ? Même si mes sens sont plus sensibles que la norme, la senteur vanille-chocolat est loin d'être plus forte que celle de la décomposition.

Je coupe la musique et ouvre la porte. Ambre manque de cogner son poing contre mon torse. Je la rattrape juste avant l'impact.

— Décidement, je ne m'y habituerai jamais, dit-elle en replaçant une boucle blonde derrière son oreille.

— Tu es la seule dont le cœur pompe le sang. On t'entend arriver même si tu marches sur la pointe des pieds.

Ses lèvres se pincent, avalant sûrement les noms d'oiseaux qui lui passent par la tête.

— Diane est prête, la nuit va tomber dans quelques minutes. Vous pouvez aller vous balader sans soucis.

J'acquiesce et attrape ma veste en cuir.

En un clignement des yeux verts d'Ambre, je suis dans le couloir de l'entrée. Je souris en l'entendant pester contre ma rapidité qui lui fait tourner la tête.

Diane m'attend, les bras croisés, et me dévisage.

— Si tu continues de la faire tourner en bourrique, je vais t'étriper.

Et même si je sais qu'elle est très sérieuse, je souris avec tout l'insolence dont je suis capable.

— Avec grand plaisir.

Elle ouvre la porte et me fait signe de la tête de passer en premier. Dans mon dos, les petits pas précis d'Ambre se font entendre. Diane l'enlace et la scène la plus kitch se joue devant mes pauvres yeux. Un baiser digne d'un film où les deux protagonistes se retrouvent après de long jours d'éloignement. Il est évident qu'elles se sont perdues de vue seulement cinq petites minutes et que le sourire de Diane ne cherche qu'à me mettre mal à l'aise.

Je me racle la gorge.

— Dites-le si je dois aller faire mon tour tout seul. Je vous laisse le manoir pour vos affaires.

— Oh mais tu connais les règles, jeune homme. La patrouille, c'est pas tout seul.

Diane daigne lâcher sa compagne pour passer le pas de la porte. Ambre glousse en refermant derrière nous et je ne souhaite absolument pas savoir en quel honneur.

— Vous allez toujours être comme ça ?

— Tu veux dire heureuses ?

Je lève les yeux au ciel. À force, je vais finir par rester bloqué comme un foutu prêtre qui attend la réponse de son esprit sain.

— Je veux dire mielleuses et démonstratives.

— Tu sais, tu devrais essayer d'être un peu moins ronchon. Je suis sûre que tu pourrais faire tourner pas mal de têtes.

— Je fais tourner les têtes. Simplement elles se décrochent souvent et le corps finit par être tout mou.

Son sourire est retenu mais je note le léger rictus.

— Arrête de dire des bêtises, on a du travail à faire.

Aussitôt dit, nous commençons à arpenter nos zones de recherches.

Si depuis des siècles, peu de créatures ont pu être aperçues par les humains, c'est grâce à notre travail de prévention. Il peut arriver que des jeunes loup-garou s'égarent loin de leur meute et mettent en péril notre discrétion. Alors soit nous pouvons leur donner un coup de main pour retrouver les leurs, soit, dans la plupart des cas, ils sont beaucoup trop nerveux et risquent notre sécurité. Les solutions ne sont pas nombreuses et se terminent souvent en feu de joie. C'est sans doute pour cette raison que la querelle entre nous n'a jamais cessé. Ils deviennent complètement inconscients sous leur forme de "mâle alpha dominant". Alpha peut-être, mais souvent cramé et loin de dominer qui que ce soit.

Heureusement pour nous, les humains ne sont jamais satisfaits et rasent de plus en plus les forêts. Il obligent les tanières à se concentrer en des petits espaces et les créatures capablent de raison à trouver d'autres moyens de pouvoir subir leur transformation.

Sans ralentir mon rythme de course, je slalome entre les arbres et vérifie que rien d'anormal ne soit en train de se produire. Je suis arrivé depuis un mois et j'ai déjà mes petites habitudes. Un sourire m'échappe tant ça m'avait manqué. Avancer à mon propre rythme sans que personne ne me retienne. Je suis à deux doigts de jouer à Edward Cullen à sauter dans les arbres lorsqu'un cri strident me coupe dans mon élan.

Mon corps réagit d'instinct et court vers la source du cri. En pleine nuit, ce n'est absolument pas rassurant. Personne ne s'amuserait à faire une blague dans ce genre d'endroit, sauf des bruits qui cherchent à attirer les problèmes, soit moi.

Le cri perce une deuxième fois. Si le doute s'était installé quelques secondes plutôt, je peux affirmer que ce n'est pas le cri d'un humain. Un son qui appelle à la curiosité et qui cherche à appâter une proie.

A peine arrivée sur les lieux, une masse géante se courbe sur une forme, essayant de se relever de son emprise. L'odeur de sang fait ressortir mes canines et mes envies primaires. Celle de me battre pour récupérer la proie. Alors que je m'apprête à céder, la pourriture de la chose m'attaque à la gorge me coupant toute envie de me nourrir et d'avancer.

Malgré la luminosité capricieuse de la nuit, j'arrive à distinguer la chose qui se redresse sur deux pattes. Plus grand qu'un être humain de quelques centimètres, le corps avec des os saillants qui pourraient percer la peau fait peine à voir. La tête ressemble à celle d'un cerf, seulement les bois sont beaucoup plus imposants et leur entrelacement menace de m'embrocher à n'importe quel instant.

Bordel, mais qu'est ce que c'est que ce truc.

J'ose faire un pas, craquant une brindille au passage. Je me maudis qu'un truc aussi bête soit en train de se produire. Comme si le sort avait décidé de me pourrir encore plus que ce géant.

La tête de cerf se lève avant de pousser un long brame. Un cri, semblable à celui d'une personne, se faisant écorcher la peau.

La bête abandonne son repas et s'éloigne en direction des profondeurs de la forêt. Son parfum putride m'empêche de la suivre et de déterminer son identité. Alors que je sens venir un haut le cœur, un souvenir olfactif s'immisce. Celui de la vanille et du chocolat. Cette foutue June Lily Truc Chouette va donc me hanter encore un moment.

Je me force à abandonner mes pensées pour m'approcher de la charogne et constater les dégâts de cette biche qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Son ventre est déchiqueté, les boyaux gisant sur la terre, et il me faut un instant pour deviner qu'elle attendait un faon. La petite masse près de ses pattes devait être son fœtus. Si l'idée de manger les restes de la chose aurait pu me traverser l'esprit, à présent, j'ai surtout envie d'en finir au bûcher avec cette charogne.

Le sang gicle et continue d'affluer, formant une mare autour de la biche. Une respiration brute s'échappe de son museau.

Je me pince les lèvres. Sa mort n'a même pas encore eu lieue. Je pose la main entre ses yeux et me glisse derrière elle.

— C'est terminé. Tu ne crains plus rien.

La colonne vertébrale craque sous mon geste et le poids de la biche se double en un instant.

Comme j'ai pu le dire à Diane, j'ai un don pour faire tourner les têtes.

Flower Moon's ChroniclesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora