I - La voleuse du Souk

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~~ Enigma ~~

Le Souk est bruyant comme toujours à ce moment de la journée. Je n'ai pas beaucoup de temps devant moi. Je dois me dépêcher si je veux pouvoir manger aujourd'hui. Oh, ce n'est pas très dur, je fais ça depuis si longtemps que c'est devenu un rituel et les marchands ne s'étonnent même plus que je leur vole de quoi manger. C'est à se demander s'ils ne préparent pas un peu plus pour être sûrs de vendre leur quota même dans le cas où il me prendrait l'envie de me servir sur leur étal.

Je sors de ma cachette et saute de la fenêtre où je me trouve. Puis je me glisse en silence dans la foule qui passe en hurlant devant la petite ruelle où je me tiens. Tout autour de moi, les vendeurs crient. C'est à celui qui se fera le mieux entendre. Ça détruit les oreilles, mais je ne compte pas rester très longtemps de toute façon.

Je laisse mes mains traîner près des stands. Et je récupère du pain, une tomate et une pomme, ainsi qu'une aile de poulet fraîchement cuite destinée à un client. Le client en question est en train d'attendre, debout devant le stand. Mais je passe et je prends l'aile de poulet. La prochaine fois, il fera attention et n'aboiera pas je ne sais quelle histoire déprimante sur sa femme au premier venu...

- On me vole mon poulet ! Enigma me vole mon poulet ! Au voleur ! À la garde !

Et bien maintenant sa femme est tranquille : il parle de moi.

Ce qui est bien avec le Souk, c'est que c'est tellement bondé que la garde n'arrive pas à s'y faufiler rapidement. Surtout avec leurs grosses armures qui prennent de la place. Alors que moi, je passe tranquillement. Et quand la garde arrive enfin à l'étal du marchand de poulet, et bien... je suis déjà loin, trop loin pour que la garde puisse un jour me rattraper.

C'est pourquoi je continue ma route sans me presser. Et j'en profite pour manger mon repas.


Bon, vous l'aurez deviné, Enigma c'est moi. Ça n'est pas mon véritable nom, mais c'est le seul que je possède. Après tout, je suis une enfant abandonnée. On m'a trouvée dans la rue tout juste née. Mais toutes les familles qui se sont succédées pour m'adopter n'ont pas tenu très longtemps. Quelques jours tout au plus.

Alors, quand j'ai pu marcher, j'ai commencé à me débrouiller seule – je l'avoue, c'était assez difficile. Et quand j'ai pu commencer à dire quelques mots, plus aucune famille n'a essayé de m'adopter – peut-être parce que le premier mot que j'ai dit n'était pas très sympa... ? J'ai commencé à voler. De la nourriture et des secrets. De quoi alimenter l'estomac et l'esprit.

J'ai toujours été seule, ne parlant que très rarement et faisant fuir les autres d'un seul regard. Je n'ai jamais eu qu'un seul et unique ami. Les quelques jours que j'ai passés en sa compagnie ont brisé mon quotidien, et ils m'ont fait découvrir des nouveautés : le rire et la peur. Le rire parce qu'il imitait à la perfection les nobles de la ville. La peur parce que j'ai failli me faire choper par sa faute. Lui, il s'est fait prendre.

Il avait perdu ses parents très tôt et s'était retrouvé obligé de vivre dans la rue. C'est lui qui m'a nommée Enigma. Parce que d'après lui, je représente une énigme à moi toute seule. Mais les autres pensent que c'est parce que je sais résoudre l'énigme des gens. En d'autres termes : que je récolte des milliers de secrets me permettant de connaître les personnes assez bien.

En réalité, cette récolte de secrets n'est bonne qu'à passer le temps.

Quant à mon ami... il s'est fait prendre, comme je l'ai déjà dit. Et le sort que le royaume réserve aux voleurs n'est autre que la mort – les meurtriers ont, eux, droit à la torture avant de mourir : cadeau du roi en personne. Alors, je suppose qu'il est mort. C'était il y a si longtemps que j'ai oublié son nom.

Et depuis, je continue ma route en solitaire.


Bon, assez parlé ! Vous savez qui je suis : Enigma, l'enfant des rues, aussi connue sous le nom de « Femme aux 1001 secrets », bien que l'on ne m'appelle jamais ainsi. Je suis Enigma, la fille sans identité. Et je suis l'une des voleuses les plus recherchées de la ville.

Rassurez-vous, ça n'est pas pour mes vols à l'étalage qu'on me recherche aussi activement. Ce sont pour mes autres vols, ceux que je fais en échange d'informations, d'objets utiles, d'aliments et, parfois, d'or. Et généralement, quand on me contacte, ça n'est pas pour récupérer un objet à valeur sentimentale... Enfin, bon... Ce n'est pas comme si j'avais un job tous les quatre matins...

Mais les gens apprécient savoir que s'ils veulent récupérer quelque chose, ils ont quelqu'un à qui demander. C'est pour ça que personne ne me dénonce et que je peux marcher tranquillement dans la rue sans craindre d'être arrêtée. Enfin, tant que je ne tombe pas sur des gardes.

Aujourd'hui, je n'ai pas de job. Alors je passe de toit en toit, laissant mes oreilles se balader. Oh, je ne récupère pas beaucoup d'infos. En fait, c'est très rare de trouver quelque chose de valeur de cette façon. Beaucoup de ce qui se dit n'est que rumeur. En plus, aujourd'hui, la seule chose qui semble intéresser la ville c'est l'anniversaire du prince Maximilien. Apparemment, c'est pour demain. Et pour les nobles invités, c'est à qui lui offrira le meilleur cadeau.


Et si je lui en faisais un aussi ? Un qu'il ne pourra jamais oublier...

Cette idée fait naître un sourire narquois sur mon visage. Alors je laisse l'idée se développer et grandir pendant que je vole un carton d'invitation et que je regagne mon antre.


Aldn Ablas, Les Mondes MiroirsWhere stories live. Discover now