X - Échec et mat

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~~ Kiri ~~

Les six jours passent très vite. Et, bien entendu, mon problème de mémoire n'est pas résolu. Je me présente tout de même chez Madame Del Ray. Ce nom me rappelle mon dernier échec en date : Enigma, dont j'ai déjà oublié le visage alors que j'ai tenté de le mémoriser il y a trois heures seulement, avait usurpé son identité lors de l'anniversaire du prince.

La maison des Del Ray est immense. De nombreux gardes sont déjà arrivés et sont en train de rejoindre leur poste. Je me dirige vers celui qui porte l'uniforme brodé rouge et or. Il me confie mon poste en me regardant d'un œil méfiant : mes échecs répétés sont connus de tous. Je dois réussir ! Aujourd'hui !

La journée passe. Le soleil qui tape sur ma tête est aveuglant. C'est un supplice de rester en poste à cet endroit. Quand je pense que la très grande majorité des gardes s'est vue attribuer une place à l'ombre, je me dis que ce n'est pas un hasard si je me retrouve à cuire sous le soleil de midi.

Il n'y a pas le moindre mouvement, pas le moindre bruit. J'ai l'impression que je vais tomber. Mais je tiens et rien ne se passe. Et toute la journée s'écoule sans que je ne m'en rende vraiment compte. Et je suis heureux de retrouver le trou et sa fraîcheur. Cette nuit-là, c'est peut-être la seule nuit où je réussis à dormir au trou. En plus, j'ai le sentiment que tout s'est passé à merveille.

Mais le lendemain... Je reçois une convocation de la part du principal.


Le bureau du principal n'a pas changé depuis la dernière fois. Le vieil homme est toujours assis derrière une montagne de papiers. Je m'assois sur la même chaise que la fois précédente.

- Monsieur Del Vardenstarg, vous me décevez.

- Comment ?! Le contrat n'a pas été signé ?!

- Là n'est pas la question, monsieur Del Vardenstarg.

- Je suis désolé monsieur, mais je ne comprends vraiment pas. Il ne s'est strictement rien passé hier.

- Je ne suis pas de cet avis. Et je pense que Mesdames Del Ray et Dir Ramned seront de mon avis.

Je reste muet.

- Écoutez, monsieur Del Vardenstarg. Une trentaine de joyaux ont été volés hier dans l'après-midi chez les Del Ray. Une statuette de bois a également disparu des affaires de Madame Dir Ramned, notre invitée. Une statuette qu'elle souhaitait offrir à notre bon roi ce matin pour le remercier de son hospitalité. Et tout ça s'est produit pendant que VOUS et les autres gardes deviez GARDER le domicile des Del Ray des voleurs.

Je reste muet. Je n'ai rien à dire pour ma défense.

- C'est ce que j'appelle un échec. Et pour cette raison, vous et les autres gardes allez être sanctionnés.

Je baisse la tête. J'ai compris que c'est la fin pour moi.

- Je vais devoir vous demander de prendre vos affaires et de quitter l'école. Vous êtes destitué de votre statut de garde et vous ne pourrez plus jamais le ré-obtenir. Ai-je été assez clair ?

Je hoche la tête. Je me lève, gardant la tête baissée. J'atteins la porte quand la voix dure du principal résonne de nouveau.

- Votre clé. Vous n'en aurez plus besoin.

Je fais demi-tour et sors ma clé, ce petit bout de bois taillé en étoile, de ma poche. Je la pose sur le bureau, au milieu des papiers. C'est étrange de s'en séparer après dix ans.

Je quitte le bureau et regagne le trou. Je prends mes affaires et je quitte l'école. La grille se referme dans un grand bruit derrière moi. Je me retourne et je lève la tête vers le haut de la grille, vers les bâtiments que j'ai si souvent parcourus et dans lesquels je ne poserai plus jamais les pieds. Ça fait mal de savoir que je ne reviendrai plus jamais ici.

Je ne sais pas ce que je vais faire désormais. Mais je tourne les talons et je regagne la ville le cœur lourd de haine envers les voleurs et moi-même.


Mes pas me conduisent devant la lourde porte d'ébène de ma maison. J'ouvre la porte avec ma clé et j'entre. Heureusement pour moi, ma mère est sortie. Je rejoins ma chambre et je range mes affaires. Puis, je saisis un sac tenant bien sur les épaules et je le remplis de vêtements et d'argent. J'y mets également de quoi manger pour quelques jours. Je quitte ensuite mon uniforme pour mettre des vêtements de tous les jours, pratiques pour se déplacer.

Puis, je rédige un court message à l'intention de mes parents. Je redescends, mon message dans la main. Je le lis une cinquantaine de fois avant de me décider à le poser sur le meuble à l'entrée.

« Père, Mère,

Je suis désolé. Je n'ai pas su vous parler de mon problème de mémoire. En effet, je n'arrive pas à me souvenir du moindre visage. Pas même des vôtres je dois l'avouer.

C'est là la raison de mes échecs répétés. Et c'est la raison de mon renvoi. Il est vrai qu'à partir d'aujourd'hui, je n'ai plus d'avenir : je ne pourrai jamais devenir garde. C'est pourquoi je pars.

Je suis désolé.

Aujourd'hui, je ne vous poserai plus de problèmes.

Je vous aime,

Kiri. »

Je vais chercher l'une des servantes et je lui demande de fermer derrière moi. Elle ne pose pas de questions : elle connaît son travail.

Je quitte enfin la maison qui m'a si souvent abrité des intempéries. J'ai laissé ma clé avec mon message : je ne reviendrai pas – de toute façon, ils m'ont bien fait comprendre que je ne serai pas le bienvenu tant que je n'aurai pas redoré l'honneur de la famille.

Je ne regarde pas derrière moi. Et je repars dans le dédale de rues.


Aldn Ablas, Les Mondes MiroirsWhere stories live. Discover now