6. Eden (2)

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— Je ne veux pas entendre de commentaires, c'est compris ?

Cameron ouvre le calepin sans même me répondre, et à mon grand étonnement, je suis dans l'attente de ses réactions. Il tourne les pages les unes derrière les autres d'un air grave et concentré. Je vois un pli barrer son front. Est-ce qu'il déteste ? Mais qu'est-ce qui m'a pris de lui demander de rester à l'appartement ?

Je m'approche de lui et contemple les prémices de ma dernière esquisse. Mon père m'a toujours dit que j'étais née un crayon entre les doigts. C'est simple, que je sois triste, déprimée, ou heureuse, toutes les émotions transitent dans ces feuilles de papier qui sont devenus mon précieux. J'ai un petit pincement au cœur en songeant à mon père, et jette un coup d'œil machinal à travers ma fenêtre, sachant pertinemment qu'un garde du corps fait le guet.

— Tu as beaucoup de talent, m'avoue mon collègue avec sincérité. C'est magnifique mais...

Il hésite, semble peser le pour et le contre. Quant à moi, mes épaules s'affaissent et mon regard se perd dans la nuit noire, juste éclairée des faibles lueurs du croissant de lune. Je m'attends à ses moqueries, alors je finis par baisser la tête et je souffle vaguement un :

— Mais ? à peine audible.

— Mais c'est tellement... triste ? Les portraits sont parfaitement exécutés, mais le sentiment qui prédomine, page après page, visage après visage, c'est juste la tristesse. C'est étrange pour moi de me sentir envahit de tristesse rien qu'en regardant des dessins.

Cameron a l'air un peu gêné par la situation. Il faut dire que l'on a jamais été aussi proche que ce soir. C'est à la fois agréable et dérangeant. Pourtant, ses paroles ne me blessent pas le moins du monde.

— Qui a dit que la vie devait être joyeuse ? lui demandé-je, énigmatique, en me tournant vers la porte. J'ai envie d'une bière !

Je sors de la chambre devenue trop pesante, et disparais vers la cuisine. Cameron met quelques secondes à me rejoindre, le temps pour moi de sortir deux canettes du frigo. Je lui tends la sienne, mais il la refuse.

— J'en ai déjà une, m'indique-t-il en attrapant celle qu'il s'était servie lorsque je suis partie me rafraîchir.

Je m'écroule alors sur le canapé. Je n'ai envie de penser à rien, je veux juste gommer cette soirée de mon existence, du moins, toute la partie concernant Alex. Je bois la bière cul sec, sous le regard médusé de Cameron.

— Heureusement que tu n'as pas loin à aller pour retrouver ton lit. Essaie d'éviter la chaise du bar sur ton chemin, se moque-t-il.

Je lève les yeux au ciel, soudain en proie à la mélancolie. Je pense au fiasco de mon couple, à ce moment étrange avec Cameron, et sursaute lorsqu'il reprend la parole :

— Alors, ces dessins ?

— Depuis quand je te dois des confidences ?

— Depuis que je t'empêche de te morfondre sur le connard à qui on devrait tous botter les fesses !

J'esquisse un semblant de sourire devant l'attitude typique protectrice de Cameron, comme il sait si bien le faire avec sa sœur. Pour autant, c'est bien la première fois qu'il l'expérimente sur moi. Et étrangement, ça me fait du bien, d'avoir quelqu'un qui me rappelle qu'Alex n'a aucune excuse, et qu'il mérite tout sauf mon pardon. Comment je pourrais pardonner sa trahison ? Comment je pourrais encore avoir confiance en lui après ça ?

— Alors, une confidence contre une autre, affirmé-je.

— Et pourquoi j'accepterais ce deal ?

— Parce que tu sais que j'ai besoin de me changer les idées.

Le rôle de ma vie...Kde žijí příběhy. Začni objevovat