Chapitre 8

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Je sais que c'est la nuit parce que les lumières du couloir se sont éteintes. Après m'avoir parlé de Farah, Grégory n'a plus dit un seul mot et je n'ai pas essayé de relancer une conversation. Farah était visiblement chère au cœur de Greg et la perte d'un être aimé est très difficile. Nous n'avons eu qu'un seul repas, ce matin, et je me retrouve dans l'obligation de me coucher, l'estomac dans les talons. La faim me tiraille le ventre alors j'essaie de penser à autre chose. Je compte le nombre de trous qu'il y a sur la porte en plexi de ma cellule, puis je compte les carreaux du plafond, ensuite je recompte les trous de la porte. On ne sait jamais : des fois qu'y en aurait un qui disparaisse...

— Cœur... ...fants... sept... ...ix-sept...

Je me redresse et tends l'oreille. C'est Greg qui murmure une chanson, qui ne date pas d'hier, tout bas, sans doute pour ne pas me déranger. Le truc, c'est que je la connais bien cette chanson. Certains pourraient penser qu'elle est vieux jeu mais moi je l'adore. Alors je m'installe en tailleur sur ma couchette, dos au mur et reprend le refrain entamé par Grégory.

— Elle chante, elle chante... la rivière insolente...

— Qui unit dans son lit, le cheveux blonds, les cheveux gris...

Je l'entends rire de l'autre côté de la paroi.

— Comment ça se fait que tu connaisses ça, toi ? Ce n'est même pas de ta génération !

J'éclate de rire à mon tour.

— Ben quoi ? C'est un exploit de s'intéresser aux œuvres de la décennie précédente ?

— Non mais quand même... Je ne m'attendais pas à ce qu'une midinette tout juste sortie de l'œuf connaisse un classique de la musique française.

— Primo, je ne suis pas une gamine. Et secundo, je préfère Michel Sardou à Jul. Largement.

— Jul ?

— Un rappeur qui me fait saigner des oreilles.

Grégory éclate d'un rire tonitruant qui, pour un peu, en aurait fait trembler le complexe.

— Ah tu sais, les goûts et les couleurs...

— Je sais bien que ça ne se discute pas mais certains ont très mauvais goût.

— Je te l'accorde Anaya.

J'inspire profondément. Ça fait du bien d'entendre mon prénom.

— Alors... ils écoutent quoi les jeunes maintenant ?

— Oh, plein de choses.

— Cites-moi tes préférés.

— Euh... Soprano, Nuit incolore, Kyo, Zaho de Sagazan... Ce sont des artistes français. Tu connais Grand Corps Malade ?

— Bien sûr ! Il a fait de nouveaux titres ?

— Oui. Un nouvel album qui est vraiment chouette.

— Il sait trouver les mots pour parler de ce qui fâche, pas vrai ?

— Ouaip.

— Tu veux bien me chanter une chanson ?

— Euh...

Je déglutis, mal à l'aise.

— C'est que je ne chante pas très bien...

— Quelle importance ?

Je souffle lentement pour évacuer mon stress.

— Bon, ok.

Je fouille dans mon répertoire et sélectionne une valeur sûre : Rendez-vous par Kyo et Nuit incolore. Les mots défilent dans ma tête comme une cascade et dès la première note, mes angoisses s'envolent. Je chante comme si c'était la dernière fois que j'utilise ma voix. J'y mets toutes les émotions que m'évoque la musique et les paroles, puis je ferme les yeux et laisse ma propre souffrance s'évacuer en larmes et en notes de musique. Je tiens la note finale puis ma voix s'éteint, laissant place à celle de Greg, qui ne se fait pas attendre :

Ushuara - La chasse a commencé (Tome 1)Where stories live. Discover now